Numărul 1 / 2015

STUDII

 

 

LES CREANCIERS FACE A L’HOIRIE – POUVOIRS ET CONFUSION

 

Paul Vasilescu*

 

 

 

Bref. Les créances ne sont cependant pas le domaine de prédilection du droit successoral, bien qu’il y ait des cas où s’imbriquent les règles de celui-ci dans le droit commun des obligations. Un coup d’œil d’autant plus nécessaire que depuis le 1er octobre 2011 les Roumains sont tenus à observer un nouveau Code civil qui remplace celui de 1865. Et pour cela, on a essayé d’esquisser – prenant dans les lignes suivantes comme objet de réflexion la loi roumaine, une réponse à la question si le droit commun est à appliquer à part entière ou les successions supposent un tel brouillage normatif qu’il soit nécessaire de l’écarter entièrement. A cet effet, on va d’abord regarder à des créances successorales contre les héritiers, puis le régime des dettes et des charges de l’héritage, pour finir tout en parlant des pouvoirs des créanciers chirographaires ayant un lien juridique à une situation successorale.

 

Mots clé : action oblique, confusion, créanciers successoraux, créanciers personnels des héritiers, dettes et charges successorales, fraude paulienne, obligations, partage, rapport des dettes.

Cuvinte cheie : acţiune oblică, confuziune,creditori succesorali, creditori personali ai erezilor,datorii şi sarcini succesorale, fraudă pauliană, obligaţii, partaj, raportul datoriilor

 

 

 

Le mouvement des dettes est prévu expressément dans la loi roumaine, si la source des obligations est conventionnelle[1] et le mécanisme est aussi volontaire[2]. Ensuite, « les droits ainsi que, dans les cas prévus par la loi, les obligations contractuelles ayant un lien étroit avec le bien, se transmettent, en même temps que le bien, aux successeurs à titre particuliers des parties »[3]. C’est le transfert obligationnel comme accessoire à un droit réel déjà mû contractuellement. Lors de cette étude, en revanche, on va envisager uniquement le transfert à cause de mort[4] de la créance. Ainsi, quelle que soit la source d’une obligation concrète, elle se transfère aussi mortis causa, c’est ce qu’on peut déduire de maints paragraphes du Code civil roumain[5]. Le principe est aussi en droit roumain que les obligations du de cujus tiennent ses successeurs, mais en certaines limites et tout en appliquant quelques règles qu’on va passer ici en revue. Le bien-fondé de ce genre de transport patrimonial fut déjà expliqué par le recours à deux idées assez différentes.

Classiquement, on a dégagé l’idée que l’héritier succède à la personne du de cujus et, par cela, il suit le mort, en se subrogeant juridiquement en lieu et place du défunt et continuant ainsi sa personnalité juridique. C’est ce qui justifie que l’héritier universel (ou à titre universel) soit tenu indéfiniment aux obligations du défunt. Dans ce cas-là, on a affaire à un engagement juridique du successeur avec ses biens personnels pour toutes les obligations et les charges de l’hoirie, puisque l’héritier sera tenu ultra vires hereditatis. Ainsi on peut admettre tant la confusion entre les deux patrimoines (successoral et personnel) que l’addition de l’actif successoral au gage général des créanciers personnels de l’héritier. A côté de cette thèse traditionnelle et personnaliste de la continuation juridique du sujet de droit rendu ainsi immortel, coexiste une autre dont la vision matérialiste met un accent objectif, à savoir soulignant le rôle des biens et de leur transfert (du mort au vif), tout en ignorant la succession des personnes dans la danse funèbre. Selon cette vision, il n’est concevable – pour le successeur, qu’un engagement juridique intra vires hereditatis, donc, une reprise des obligations successorales uniquement dans le cadre de l’avoir déjà repris, quand chaque successeur sera obligé au marc le franc, sa portion héréditaire étant à la fois la justification et la limite de sa responsabilité successorale.

Dans le droit français, cette vision successorale coexiste[6] avec la précédente, tandis que pour le droit roumain, en dépit de toute hésitation, on pourrait considérer de plano comme gagnante la deuxième, celle objective. Il en résulte[7] que le principe conducteur du droit roumain des successions soit la responsabilité intra vires pour toute obligation successorale, que la confusion reste plutôt prônée théoriquement qu’appliquée effectivement, que la mort puisse être théorisée comme un cas d’extinction des obligations, tant qu’elle n’assure pas la mutation des dettes afin d’être payées par ceux qui cueillent tout le patrimoine du défunt.

Pourtant, notre analyse va tenir compte de la nature duale de toute obligation. Ainsi, de son côté actif, toute créance se présente en droit patrimonial, reliant le défunt à une autre personne (le débiteur qui puisse être ou non un héritier). Maintenant, la créance fait partie de la masse successorale, en tant qu’actif patrimonial quelconque, et on va passer en revue (1) les créances successorales. Ensuite, on le sait, toute obligation du défunt se retrouva patrimonialement dans le passif de la masse successorale, et dans ce cas-là, c’est le défunt qui joue le rôle du débiteur dans le rapport de créance (lui étant lié d’un héritier ou d’un tiers), ce qui nous impose de parler des (2) dettes successorales. Au bout du compte, on va systématiser (3) les pouvoirs des créanciers chirographaires ayant un point de rattachement à la situation successorale.

(1) Créances successorales à l’encontre des héritiers (à savoir ce qu’on doit à l’héritage par les héritiers). Il n’est pas exclu qu’un héritier soit le débiteur de la masse successorale, et pour y arriver, on peut imaginer deux situations. La première est celle dans laquelle l’héritier devait juridiquement quelque chose au défunt de son vivant. Le cas des figures le plus fréquent ici c’est celui d’un emprunt contracté par l’héritier et consenti par le défunt, ou bien un prix dû au défunt et non-payer encore (tout ou en partie). La deuxième situation concernera les dettes nées du chef d’un successeur après l’ouverture de la succession. Et on pourrait y mettre les indemnités à payer en raison de la destruction d’un bien successoral ; la perception des fruits des biens successoraux par l’héritier qu’on considère maintenant le débiteur ; la jouissance exercée à titre personnel par un héritier sur un bien indivis etc. Pourtant, toute créance liant le défunt à un héritier-débiteur fait partie de la masse successorale, en tant qu’actif patrimonial. Les deux hypothèses décrites ci-dessus ont un dénominateur commun, bien qu’elles ne soient pas identiques. Ainsi, l’héritier est le débiteur proprement-dit de la succession, celui-ci pouvant être forcé d’acquitter la dette. Cette fois-là on parle des obligations tout court, elles étant soumises – on nous enseigne, au droit commun de la matière ; et ce qu’il saute aux yeux c’est un aspect de facto, extérieure à la dette : le fait que le créancier est décédé. Vraiment applique-t-on le droit des obligations à l’occurrence ou on enregistre des modifications assez importantes du régime obligationnel ?

Avant d’y avancer une réponse, pour les cas déjà passés en revue, encore est-il à noter un libellé n’ayant jamais dérangé personne et utilisé fréquemment par coutume. Ainsi, on parle habituellement du « débiteur de la succession »[8], expression remplacée parfois par celle de « débiteur de l’indivision ». Evidemment que telles formules ne veulent qu’indiquer qu’on doit une prestation à la succession, à savoir à des personnes qui sont créancières du débiteur successoral (ayant elles-mêmes la qualité d’héritiers). L’obligation étant toujours un lien de droit établi entre deux personnes bien déterminées (une débitrice, l’autre créancière), et dire qu’on doit à la succession ne vaut qu’exprimer que le créancier est un héritier (/les héritiers). Puis, il ne faut pas perdre de vue que c’est ici qu’on analyse le cas dans lequel le débiteur lui-même est toujours un successeur – à la fois dans le sens d’héritier et d’ayant cause du défunt, et que sa personne (le débiteur-héritier) est aussi munie simultanément de la qualité de créancier par rapport à l’obligation dont on parle.

            Les précisions ci-dessus, peut-être banales, peuvent nous éclaircir la vraie particularité du rapport successoral des dettes en tant que règle successorale. Mais avant tout, il est à rappeler la première règle du droit commun des obligations mise en exergue par le transfert mortis causa, celle de la confusion obligationnelle. La dette personnelle du débiteur-héritier à l’égard de la succession s’éteint en raison du fait que le rapport d’obligation manque d’un sujet, l’héritier cumulant les deux positions antithétiques que toute relation obligationnelle suppose. Encore, la confusion n’opère que pour la part successorale du débiteur, tandis que pour le reste, l’héritier-obligé restera désormais tenu envers les autres cohéritiers (-créanciers). Il en résulte que la confusion éteindra complètement la dette héritée seulement lorsque le débiter sera aussi le seul héritier du créancier, parce qu’il va se devoir lui seul la prestation, ce qui sera incompréhensible juridiquement. La confusion s’accomplit dès le moment du décès du de cujus, et on peut la considérer – dans ce cas-là, comme un moyen d’extinction définitive de la dette successorale. Alors, même si par règle générale des obligations la confusion n’est tant un moyen d’extinction de l’obligation que plutôt une entrave au payement, en matière de successions, elle reste par la force des choses une cause qui met fin au lien obligationnel.

De plus, pour que l’effet extinctif de la confusion successorale soit total, dès qu’il y a plusieurs héritiers, on est forcé à considérer que le débiteur-héritier est alloti entièrement de la créance successorale (correspondant à sa dette envers le défunt) même avant le partage. Sinon, la règle de la division des obligations par voie de décès ne va imposer qu’une confusion partielle, pour une part indivise de l’obligation, au marc le franc de la portion héréditaire. Donc, la confusion pourrait avoir lieu uniquement si on écarte la division automatique mortis causa de la dette, tout en considérant que la créance successorale n’existe qu’à l’égard d’un seul débiteur qui est aussi l’héritier (-créancier). C’est ce qu’une chose loisible avant le partage successoral et seulement dans la limite héréditaire appartenant au débiteur. Enfin, il n’est pas possible d’ignorer que la confusion, ainsi que l’imputation des dettes, a lieu en valeur. Cela dit qu’on observe telle quelle la règle si les créances sont pécuniaires, tandis que pour les dettes dont l’objet n’est pas d’argent, l’application de la règle de la confusion impose une préalable équivalence des prestations dues, à savoir on rend en argent la prestation originaire établie en nature, c’est donc une balance comptable à faire.

À la différence du droit français[9], pour le cas où le même héritier a à la fois la qualité de débiteur et de créancier, la loi roumaine ne connaît aucune disposition explicite. Toutefois, on pourrait admettre la solution que le débiteur-héritier sera alloti de sa dette, lorsque le compte successoral présentera un solde débiteur. À l’inverse – pour un solde créancier, la confusion opéra, et par conséquent, la dette sera désormais éteinte erga omnes. Il en résulte que la règle de la confusion successorale n’est que l’exception qu’on applique si les successeurs répondent ultra vires hereditatis ce qui advient au cas où ceux-ci furent forcés à accepter l’héritage.

Il peut arriver que le débiteur-héritier vienne en concours avec d’autres héritiers et son obligation outrepasse sa quote-part successorale. Selon les règles communes des obligations, la créance se divise de plein droit entre ses (nouveaux) titulaires – qui sont les cohéritiers, et chacun d’entre eux devient (pour une portion) le créancier du débiteur-héritier, la confusion opérant pour la part cueillie par le dernier. Il en résulterait une diminution de la dette avec la part indivise de l’héritier-débiteur[10], et le reste de la créance serait exécuté individuellement sur le patrimoine du débiteur. Cela n’arrive jamais, car le système mis en place par les règles successorales est celui de l’imputation de la dette. Celui-ci était traditionnellement connu aussi sur le nom de « rapport des dettes en moins prenant », car l’héritier-débiteur prendra moins qu’en absence de son obligation qui existe maintenant à l’égard de la succession.

« Le rapport des dettes » n’est qu’une dénomination[11] générique qui couvre un moyen spécial de calcul des dettes à régler par chaque débiteur-héritier lorsqu’on ne dépasse pas le cadre subjectif où tout le monde est dans le même temps successeur. Donc, le rapport des dettes est une « affaire de famille », car les sujets des obligations rapportables sont toujours des héritiers. Il s’ensuit que le rapport des dettes est un mécanisme qui relève du droit des successions, et non pas de celui commun des obligations. La loi roumaine y consacre un seul article[12] ayant dans son intitulé même le syntagme bien consacré dont le premier alinéa établit la règle « en moins prenant ». Cette règle est à observer chaque fois que la dette due envers la succession est certaine et liquide, sans qu’il soit requis l’exigibilité de l’obligation ; quelle que soit l’échéance d’une obligation successorale, son rapport est dû du seul fait de l’ouverture de la succession. Par principe, le rapport se fait au moment du partage, lui étant une technique comprise dans le cadre de la liquidation successorale. Par exception[13], les héritiers peuvent s’entendre que le rapport ait lieu avant le partage successoral. Puis, l’imputation de la dette sur la fraction de l’héritage cueillie par le débiteur-héritier est à observer toujours, sans distinction du contenu de l’obligation concrète, de sa valeur ou de sa grandeur, ainsi que de nombre[14] des dettes dont est tenu le successeur. Enfin, il faut y ajouter que la mise en œuvre de ce système du rapport passif implique un calcul comptable, tant pour évaluer exactement la dette à imputer (quand elle n’est pas pécuniaire) que pour aboutir[15].

On ignore complétement ladite règle du rapport des dettes dès qu’il est question des créances dont le titulaire est l’un des héritiers. Si un héritier est créancier de la masse successorale, c’est-à-dire à l’égard des autres successeurs, on méconnaît la règle du rapport. Il ne s’agit pas ici d’une exception à la règle, mais d’une autre hypothèse dont elle n’a pas vocation de s’appliquer, parce que la créance est un droit pour son titulaire, mais un passif successoral qui doit être supporté au marc le franc par les autres cohéritiers. D’ailleurs, la loi roumaine nous indique que « l’héritier qui est à la fois créancier et débiteur de l’héritage peut se prévaloir de la compensation légale, même si les conditions de celle-ci ne sont pas accomplies »[16]. Il nous est permis d’attirer l’attention que le droit des obligations est applicable, mais avec un petit détournement successoral. Ainsi, la compensation successorale n’exige que les dettes soient réciproques, leurs objets – ainsi que leurs échéances, étant davantage indifférents ; alors que le droit commun des obligations réclame la fongibilité et que les dettes soient toutes exigibles[17].

Les cas ci-dessus ont comme élément commun le fait qu’il y a une obligation établie entre la succession et un héritier qui est aussi le débiteur de celle-ci. Car on peut imaginer tout un autre cas, celui dans lequel un héritier est non pas le débiteur des autres héritiers, mais, à l’envers, leur créancier. Il en est ainsi dans des situations telles que le défunt devait à l’un de ses héritiers une certaine prestation (à titre de prêt ou de réparation) ; un héritier à payer « de son état » les dettes du de cujus ou tous les frais funéraires ; un héritier acquitte les travaux nécessaires pour préserver les biens successoraux ou les dettes réclamées par la conservation et la gestion de ceux-ci. Pour une telle obligation, il n’est pas concevable que la confusion opère. Lorsque la succession est débitrice à l’encontre de l’un des héritiers, celui-ci en tant que créancier se peut faire payer avant la liquidation de la succession, voire même avant le partage. Alors, l’héritier-créancier peut prélever une somme d’argent de l’actif successoral correspondant au montant de sa créance, quand il y en a une pécuniaire ; sinon, pour tout autre type de créance, on doit la convertir dans une somme d’argent. Il convient de noter que ni la confusion, ni la division de la créance n’a pas lieu, la règle du droit successoral assimilant l’héritier-créancier à un créancier quelconque qui peut se faire payer « comme tout autre créancier de la succession »[18]. Il en résulte qu’un tel créancier peut percevoir le payement par le prélèvement avant le partage[19].

En fin de compte, on peut retenir que certaines règles générales du droit des obligations s’effacent devant les normes spéciales des successions, toutes les fois que les rapports de créance sont établis entre ceux assujettis à la dévolution successorale (le créancier étant soit le défunt, soit un héritier).

(2) Dettes successorales (à savoir ce qu’on doit aux tiers de l’héritage). Si le repère est obligationnel, d’ordinaire, à l’égard d’une succession, un tiers[20] ne peut être que soit créancier, soit débiteur. Dans la première situation, le défunt est obligé de son vivant, et dans ce cas-là on parle communément d’une dette successorale envers un tiers, donc, une personne qui n’est point héritier du de cujus. Une telle dette née du chef du défunt a le même régime quelle que soit son origine (conventionnelle ou légale) ou que la dette soit établie envers un héritier ou un tiers. Par exception au schéma déjà envisagé, le créancier successoral peut être un légataire, donc, un ayant-cause et non pas un tiers de l’hoirie. Il en est ainsi pour un legs de sommes d’argent qui pèse toujours sur l’actif de la masse indivise, car le bénéficiaire du legs n’est qu’un créancier des successeurs pour le payement de sa libéralité. On va mettre de côté ce cas-ci, parce que le règlement d’un tel legs relève d’autres règles, telles que nemo liberalis, nisi liberatus, l’imputation des libéralités, la réserve etc.

Encore faut-il abstraire du problème le légataire au titre particulier. Par principe, celui-ci n’est pas tenu à payer les charges et les dettes de la succession. Par exception[21], le successeur à titre singulier est obligé à un tel règlement successoral – mais uniquement dans la limite des biens qu’il a reçus mortis causa, (a) si le testateur lui a expressément imposé qu’il le paye ; (b) si ce qu’il a cueilli est une universalité, telle qu’une succession dont avait droit son disposant ; (c) si tous les autres biens successoraux ne suffisent pas d’acquitter les charges et les dettes de l’héritage. La dernière disposition peut être expliquée par la règle nemo liberalis, nisi liberatus, et la portion de participation du légataire singulier au passif successoral sera proportionnelle aux biens reçus[22].

Rappelons qu’aux dettes du défunt s’ajoutent obligatoirement les charges successorales. Ce genre de dettes – appelées traditionnellement charges, comporte des obligations ordinaires nées après le décès du de cujus, mais liées au fait de la mort de celui-ci. Toute charge est une obligation civile issue d’un fait ou d’un acte accompli par une personne (un successeur d’habitude) sur les biens successoraux ou en raison du décès de celui qui laisse l’héritage ; elle étant une composante de la masse successorale, liant les successeurs. Les charges successorales sont pratiquement les dépenses faites avec les obsèques, les frais notariaux ou de justice, comme tous dépens exigés par les procédures homonymes (e.g. honoraires, scellés à poser et inventaire), les frais nécessaires à la liquidation du régime matrimonial, au partage et à la liquidation successorale et ainsi de suite.

Toutes ces dettes composent, donc, une catégorie à part, qu’on appelle communément le passif successoral[23], et les obligations qui le forment obéiraient au droit commun des obligations, ainsi qu’aux règles spéciales du droit successoral. D’abord on est tenu à vérifier si le droit commun s’y applique sans faille. Alors, toute obligation successorale est par principe divisible au nombre des héritiers, chacun d’entre eux étant tenu à un payement partiel, au prorata de sa fraction d’héritage. Par défaut de toute sûreté réelle, l’obligation successorale est une chirographaire, démunie de toute garantie auxiliaire, ce qui implique un payement au prix du concours au moins des créanciers du défunt. Les moyens d’extinction des obligations prévus par le droit commun seraient à observer aussi pour le passif successoral, et toujours selon ce droit, on assisterait à une confusion des patrimoines (à cause de la mort du débiteur dont l’avoir et les devoirs seront repris par ses héritiers). Pour les créanciers successoraux, la confusion signifierait aussi la jonction au concours des nouveaux venus (les créanciers personnels des successeurs) et, par suite, il serait à enregistrer une croissance du risque de ne pas se voir payer de l’actif hérité pour les créanciers successoraux.

Les règles spéciales des successions nous enseignent autrement. Ainsi, quant au concours des créanciers successoraux, la situation dépendrait classiquement des successeurs, plus précisément, de leur modalité d’accepter l’héritage. Ainsi, selon le droit français des successions, on fait toujours la différence entre l’acceptation pure et simple et l’acceptation à concurrence de l’actif net[24], et qu’uniquement la première implique la confusion successorale ayant la suite que l’héritier soit tenu ultra vires du passif hérité. Cette obligation indéfinie aux dettes de l’héritage – qu’existe seulement pour les héritiers universels ou à titre universel, fut l’expression technique de l’idée plus large que le successeur étant un acceptant pur, il continue la personne juridique du défunt. En outre, d’autres idées ont justifié la conséquence particulière de l’acceptation pure et simple. Ainsi, on nous a dit que soit la sécurité du crédit, soit la solidarité de la famille dont il est issu celui qui laisse l’héritage, ou bien – plus récemment on nous a expliqué[25] davantage qu’il convient de garantir un juste équilibre entre les pouvoirs reçus par voie successorale et les responsabilités de l’héritier, c’est ce qu’expliquerait l’engagement ultra vires pour le passif successoral. Techniquement, tel était aussi l’état du droit roumain sous l’ancien Code civil de 1865 qui fut remplacé par un nouveau code qui changea de cap (aussi) en matière de l’option successorale.

Ainsi, en dépit de toute tradition, le Code civil roumain de 2009 a renoncé à l’acceptation de la succession pure et simple (ainsi qu’à celle sous bénéfice d’inventaire), tout en règlementant une seule acceptation de droit commun. Celle-ci peut être nommée ordinaire et son effet est que l’héritier soit tenu intra vires hereditatis. À côté de cette acceptation volontaire, il y en a encore une forcée, créée à titre de sanction civile pour le recel successoral. Le trait essentiel du dernier type d’acceptation c’est que l’héritier acceptant forcé sera « tenu à payer les dettes et les charges successorales proportionnellement à sa part de succession, y compris avec ses biens »[26], donc, on a une responsabilité successorale qui s’étend exceptionnellement ultra vires hereditatis. La dernière situation reste pour autant une d’exception, car on parle là d’une sanction, tandis que l’acceptation volontaire fait la règle dont la conséquence c’est qu’on répond intra vires hereditatis et sans aucune confusion patrimoniale[27].

Par conséquent, pour les cas habituels, lorsque les successeurs ont accepté l’hoirie volontairement[28], ils seront tenus de dettes successorales à la concurrence de l’actif successoral cueilli. Selon la loi roumaine actuelle, les successeurs universels (ou à titre universel) « répondent pour les dettes et les charges de l’héritage seulement avec les biens du patrimoine successoral proportionnellement à leur quote-part »[29]. L’effet direct du libellé légal c’est qu’il n’y a habituellement plus d’obligation successorale ultra vires hereditatis ; tout payement d’une obligation héritée impliquant uniquement les biens successoraux et non pas l’avoir personnel des héritiers. Puis il ne faut pas ignorer l’expression du libellé légal : l’héritier est responsable[30] au règlement successoral, parce qu’il répond des obligations du défunt et des charges successorales. Alors, l’héritier chargé du payement successoral n’engage pas son patrimoine, il paye pour autrui (dont l’avoir il reçoit) une dette qui ne fut jamais sienne. L’explication réside dans la règle générale[31] qui commande qu’en droit roumain actuel n’existe pas de confusion successorale, l’héritier ne continue pas non plus la personnalité du mort, mais il lui suit aux titres des biens, des droits et des obligations. Encore faut-il y ajouter que la même loi[32] permet aux créanciers successoraux de poursuivre les biens indivis, voire l’actif successoral, avant le partage[33]. Et après le partage successoral, les mêmes créanciers priment les créanciers personnels des héritiers lorsqu’il y a concours entre eux pour les biens allotis. Par conséquent, on a pu en parler d’un privilège sur l’avoir hérité des créanciers successoraux, une préférence légale qui survit même au partage, donc, au moment ultérieur où les biens successoraux sont déjà entrés dans le patrimoine des héritiers (allotis).

En bonne logique, on exige qu’en cas de faillite d’un héritier, les créanciers successoraux ne soient pas gênés, car ce l’actif de l’hoirie qui paye leur dette, ainsi qu’un éventuel concours avec les créanciers des successeurs semble impossible sur les mêmes biens. Toutefois, la loi roumaine dispose que lorsque « l’un des successeurs universels ou à titre universel est insolvable, sa part de passif de la succession est répartie entre les autres successeurs au prorata de leurs parts successorales respectives »[34]. La disposition légale déjà citée peut réclamer quelques précisions. D’abord, le texte aurait une portée générale, lui étant d’application quel que soit le statut du créancier successoral (héritier ou non). Puis, le partage de l’insolvabilité fait fi de la règle qui exige la division de la succession selon les fractions correspondant à la vocation (légale ou testamentaire) successorale. Parce que, après avoir établi la quote-part de chaque héritier, on peut constater que l’un d’entre eux est insolvable, et le texte dont il est question là nous commande une nouvelle division, cette fois de la dette du successeur défaillant, le dénominateur étant le nombre des autres successeurs. Ce moment critique et inutile doit être surmonté tout en rappelant que les successeurs sont tenus intra vires hereditatis, que la confusion successorale ne se produit pas et que les créanciers successoraux peuvent se faire payer dès le décès du de cujus.

L’intitulé de l’article 1157[35] du Code civil roumain nous invite d’ailleurs à appliquer son deuxième alinéa uniquement entre les successeurs (universels et à titre universel) dont au moins l’un d’entre eux a entièrement réglé la dette successorale et, à l’occasion du recours subrogatoire, il se heurte à l’insolvabilité de l’un de ses cohéritiers. Les conséquences légales sont que l’héritier solvens doit assumer une perte patrimoniale et diviser son recours en payement. Le dernier aspect est normal, tout en découlant du fait que la règle commune est la divisibilité des obligations aussi en droit civil roumain, donc, même si la dette payée était solidaire[36], parce que son règlement initial a cassé la solidarité obligationnelle. Le premier aspect est cependant moins acceptable, puisqu’il est inconcevable de mettre à la charge des successeurs (futurs solvens) une dette devenue plus importante par le seul fait qu’un héritier est défaillant et sans tenir compte de la cause d’obligation. D’ailleurs, il faut rappeler que la dette reste toujours une successorale, payable de l’actif de la succession, d’où doit récupérer solvens ce qu’il a payé en sus de sa portion héréditaire.

Ensuite et par principe, les créanciers personnels des héritiers ne se rencontrent jamais[37] avec les créanciers successoraux avant qu’on fasse le partage de l’héritage. Puisque sur les biens indivis d’une succession ne peut exister concours entre ces deux types de créanciers que postérieurement à l’allotissement. Mais, même après le partage, le concours entre eux est plutôt nominal qu’effectif – en raison du privilège dont jouissent les créanciers successoraux. C’est pour cela qu’en droit successoral roumain – bien que d’aujourd’hui n’existe pas de successions jacentes et qu’on admet la règle selon laquelle la transmission successorale s’accomplit dès que de cujus meurt, les biens successoraux ne s’ajoutent automatiquement pas au gage général des créanciers personnels des héritiers, autant que ceux-ci se voient leur patrimoine divisé en deux masses de biens assez isolées. L’existence de cette division du patrimoine – consacrée d’ailleurs de lege lata à titre de règle générale[38], empêche d’ailleurs toute confusion patrimoniale, malgré la disposition[39] expresse du code roumain qui prévoit la confusion comme l’un des cas généraux d’extinction des obligations.

Enfin, la règle de droit commun commande que toute obligation se partage dès lors qu’elle est transmise mortis causa[40]. Donc, les dettes et les charges de la succession se divisent entre les héritiers au prorata de leur vocation successorale concrète, exprimée par une fraction héréditaire. Cela dit que le créancier successoral ne peut poursuivre sa créance que sur la part successorale cueillie par chaque héritier ; ce qui suppose le partage de la dette entre les héritiers (solvens à venir), ainsi que la division de la poursuite. C’est le système traditionnel qui ordonne la division de plein droit des obligations du de cujus. Ce système normatif prend en compte qu’il s’agit d’une poursuite personnelle des successeurs, après avoir eu lieu une confusion patrimoniale dont l’effet est la responsabilité ultra vires hereditatis des héritiers. Pour conclure, la division mortis causa de la dette est naturellement exigée tant par les mécanismes successoraux que par les soucis d’éthique[41]. Puisqu’il convient d’arrêter la responsabilité patrimoniale des héritiers à la limite de leur portion héréditaire, sinon l’entier patrimoine des héritiers se trouverait indéfiniment à la merci des créanciers successoraux.

La bonne logique traditionnelle est toutefois chassée du Code civil roumain de 2009. Il commande encore la divisibilité successorale des obligations héritées, alors que l’effet de l’acceptation volontaire de la succession c’est la responsabilité intra vires hereditatis. C’est ce qui pourtant empêche à la fois la confusion et la poursuite personnelle de l’héritier tenu à une dette successorale, aspects déjà règlementés[42] à part entière. En conséquence, on a préservé la conclusion – la division de plein droit des obligations, tout en rejetant les prémisses dont elle découle – la confusion et la responsabilité successorale ultra vires. C’est là qu’il ne s’agit proprement-dit ni d’astuce juridique ni de preuve de sagesse législative.

Avant qu’on analyse le régime du concours des créanciers successoraux, on revient à la règle de la division des obligations par voie héréditaire, tout en rappelant les exceptions y prévues explicitement par la loi roumaine[43]. Ainsi, la dette successorale ne se partage plus entre les héritiers si (a) l’obligation est indivisible ; (b) la prestation due consiste « dans un bien individuellement déterminé » ou il s’agit d’une « prestation déterminée relative à un tel bien »[44] ; (c) l’obligation est une hypothécaire ; (d) l’exécution de la dette est à la charge de l’un des successeurs choisi au gré du testateur.

Juste quelques petites observations ! Le cas prévu ci-dessus à la lettre (b) est le plus prolixe et ambigu. Que vaut-il vraiment ? Premièrement, il nous serait permis de deviner que la loi ne viserait qu’une obligation de donner une chose certaine (dare), obligation divisible par sa nature (intellectuelle) transformée (légalement) dans une indivisible. La question à résoudre pratiquement, c’est la modalité de payer ce type d’obligation, s’il y a plusieurs héritiers dont quelques-uns s’y opposent ; la loi se tait et la règle « un pour tous » n’est plus efficace. Deuxièmement, on a du mal à préciser ce qui veut dire « prestation déterminée relative à un bien déterminé », d’autant plus qu’au contenu de toute obligation ne se trouvent que des prestations bien précisées en leur objet. Enfin, le cas (c) reste un classique – expliqué par la nature réelle de la sûreté, dans lequel l’accessoire (l’hypothèque) l’emporte paradoxalement sur le principal (l’obligation), alors que le point (d) s’avère inutile d’avoir été règlementé, les jeux des règles du droit commun en faisant office.

La division des obligations par voie successorale reste importante aussi à l’égard des héritiers, notamment lorsque l’un d’entre eux a réglé toute la dette. Selon le droit commun des obligations, le solvens bénéficierait d’un recours subrogatoire en payement, prévu par la loi pour toute personne ayant payé pour autrui et justifié même par le fait du règlement. Mais, à côté de la disposition d’usage général relative à la subrogation personnelle[45], il y en a une particulière, et on considère que celle-ci est applicable en matière successorale. La norme spéciale[46] nous enseigne que l’héritier-solvens, donc, qui a payé toute « la dette commune » ou plus de ce qu’il aurait tenu à régler selon sa fraction d’héritage n’a de recours que contre chaque héritier, ainsi qu’à la proportion de la part successorale de chacun. La situation demeure identique aussi pour le cas où l’héritier – qui a payé la dette entière, s’était subrogé aux droits du créancier-accipiens.

Il convient d’observer que le texte ne regarde que les obligations successorales conjointes (solidaires ou pas), payées par l’un des coobligés entièrement ou partiellement mais en sus de la fraction due et que la subrogation personnelle paraît exclue. En fait, la norme n’interdit pas la subrogation personnelle du solvens mais arrête toute cascade subrogatoire, parce que celui qui a réglé doit diviser sa poursuite selon les quotes-parts des autres débiteurs-héritiers. On ne voit ici que la règle de droit commun[47] qui impose à la fois la division mortis causa des obligations et sa suite logique – le partage de la poursuite menée par tout créancier chirographaire. La situation ci-dessus décrite n’engendre pas une nouvelle dette (successorale ou pas) par la seule fait que l’un des héritiers a réglé une obligation du de cujus. Autrement dit, une fois payée la dette successorale, celle-ci s’éteint à l’égard du créancier successoral accipiens, tout en en subsistant entre les héritiers qui seront tenus entre eux toujours d’une obligation successorale dont le créancier sera désormais l’un des successeurs.

Le débiteur solvens d’une dette de l’hoirie est assimilé légalement à un créancier-tiers, à savoir à un créancier étranger de la succession, puisqu’on lui est permis « de demander à des autres héritiers le payement des créances qu’il a envers la succession comme tout autre créancier » [48]. Il en résulte qu’un tel héritier solvens ne jouit pas d’un statut particulier dû uniquement au fait qu’il a payé une dette successorale, et il va entrer en concours ordinaire avec les autres créanciers successoraux, ainsi qu’avec les créanciers personnels des héritiers obligés à contribuer à l’extinction de la dette selon leurs portions successorales respectives. Ce cas peut être rangé parmi des situations dans lesquelles on puisse songer à un véritable concours entre l’héritier qui a fait l’addition et les créanciers successoraux. De même, c’est hors de toute discussion une éventuelle collision entre des créanciers personnels (d’autres héritiers) et ceux successoraux. Tout cela à cause du jeu ope legis du bénéfice de séparation de patrimoines existant entre les héritiers et la masse successorale ayant isolé les deux groupes de créanciers (personnels et successoraux).

Une autre règle de droit commun des obligations nous dit que la subrogation légale s’enclenche aussi « au profit de l’héritier qui paye de ses propres biens les dettes de la succession »[49]. Tout en réglant la dette successorale de son état, l’héritier-solvens se voit rangé parmi les rangs des créanciers successoraux, en remplaçant l’accipiens dans ses rapports avec d’autres héritiers tenus à payer à leur tour les dettes du de cujus. L’effet direct sera l’amincissement du gage général des créanciers personnels du solvens (à la proportion du règlement fait) ; puis, la suite indirecte serait que ces créanciers personnels entreront par ce fait en concours inattendu avec les créanciers successoraux. Le dernier aspect concrétise probablement un cas assez rarissime dans lequel on peut songer à un éventuel concours entre les deux types de créanciers (de la succession et des héritiers), isolés soucieusement par la loi dès qu’elle impose que chaque genre de créanciers se voient payer moyennant des biens issus d’une seule masse patrimoniale (soit successorale, soit personnelle).

            Pour conclure, la subrogation personnelle par le payement d’une dette successorale ne joue en bénéfice de l’héritier-solvens quels que soient les deniers utilisés à ce but qu’en vertu des textes spéciaux[50] qu’on retrouve en droit successoral, et non pas comme effet du droit commun des obligations.

(3) Les pouvoirs des créanciers sur l’héritage sont-ils identiques à ceux du droit commun ? D’abord, selon la créance qu’ils ont, faut-il distinguer les créanciers successoraux de ceux personnels des successeurs, puis encore convient-il de voir si le droit commun de l’action paulienne, de celle oblique et les règles du concours sont encore à appliquer tel quel.

Les créanciers personnels des héritiers peuvent-ils exercer le droit d’option successorale au lieu de leur débiteur qui est aussi successibles ? Intuitivement, on va répondre par la négative, mais, légalement, on le fait par l’affirmative ! Ainsi, les créanciers chirographaires[51] du « successible peuvent accepter la succession par voie oblique dans la limite de leur créance »[52]. L’acceptation accomplie de manière subrogatoire sera toujours expresse, tout en observant aussi les conditions générales de l’action oblique dans tout état de cause[53]. Par conséquent, les chirographaires personnels du successible sont tenus à prouver que leur débiteur manifeste un refus ou bien au moins une négligence à l’égard de la succession à laquelle il a le droit, et que cette attitude est tenue intentionnellement pour causer ainsi un dommage à ses créanciers chirographaires. Outre les mêmes créanciers doivent apporter la preuve que la succession est solvable, sinon, leur action est dépourvue de tout intérêt, mais pratiquement le dernier aspect est assez difficile à prouver. Si les créanciers demandeurs ont du succès, l’effet de leur action va profiter à tous les chirographaires de l’héritier acceptant. Toutefois, à l’égard des autres cohéritiers, une telle acceptation indirecte ne produit d’effet que si l’héritier pour lequel on a agi comprend accepter de son gré la succession.

Il en résulte, premièrement, qu’une acceptation oblique de la succession profitera aussi aux chirographaires inactifs, car tous les créanciers de l’héritier en cause pourront poursuivre les biens successoraux échus à ce dernier dans la proportion de leurs créances respectives. Deuxièmement, dans les relations successorales internes – établies entre celui pour lequel on a accepté obliquement l’héritage et les autres cohéritiers, le premier sera considéré renonçant, à moins qu’il n’ait accepté volontairement la succession. Donc, le reliquat (les biens qui restent dans la masse successorale après le règlement des dettes dues aux chirographaire) sera cueilli uniquement par les successeurs acceptants, sauf l’héritier pour lequel on s’est agi par voie subrogatoire. La conclusion qui en découle c’est que l’acceptation de la succession faite obliquement ne produit que d’effets réels, bornée à la valeur des créances des chirographaires demandeurs ayant un certain intérêt d’accepter la succession au compte de leur débiteur indolent. Enfin, si on rappelle qu’« avant le partage successoral, les créanciers personnels d’un héritier ne peuvent poursuivre que la fraction héritée de celui-ci » [54], il s’avère que l’acceptation par voie oblique d’une hoirie, bien qu’elle soit loisible, n’abrège pas le chemin des créanciers chirographaires vers le payement, ainsi qu’elle ne produit ni d’effets erga omnes.

Quant à l’acte de renonciation à une succession, les chirographaires personnels des héritiers ne peuvent pas avoir le pouvoir d’accomplir un tel acte juridique, mais ils peuvent rétracter obliquement une renonciation à la succession[55]. L’hypothèse serait celle dans laquelle le débiteur-successible ne répudie un héritage solvable que pour empêcher les créanciers d’être payés. En l’occurrence, il faut être accomplies toutes les conditions[56] de l’action oblique, ainsi que celles prévues à article 1123 C.civ.ro., pour que les chirographaires aient gain de cause. Cela dit que le succès de l’action oblique n’est possible que si l’héritier avait encore le droit de renoncer à la succession déjà acceptée, sans porter aucune atteinte aux intérêts d’autres successeurs.

S’il s’avère impossible à révoquer par voie subrogatoire la répudiation successorale, les créanciers chirographaires encore peuvent-ils procéder à une révocation moyennant l’action paulienne.

Les chirographaires personnels des héritiers peuvent utiliser une action paulienne tant pour attaquer une acceptation que pour anéantir une renonciation frauduleuse à l’hoirie ; le droit commun des obligations est à observer dans tout état de cause[57], sans détour ni exception. L’acceptation d’une succession insolvable peut être considérée comme un acte frauduleux dès que l’héritier s’oblige à régler avec ses deniers les dettes du de cujus. Dans ce cas-là, il est permis aux créanciers du solvens d’attaquer également l’acceptation et le règlement accompli. Mais, plus pratique vaut qu’ils ne contestent que l’acte du payement, tout en prouvant la fraude paulienne et en ignorant l’acte de l’option successorale. Le choix pour cette dernière solution s’expliquerait par l’effet légal intra vires hereditatis[58] qui laisse d’ailleurs sans écho pratique l’attaque paulienne de toute acceptation successorale, même d’un héritage en déconfiture.

En revanche, l’action paulienne des créanciers personnels de l’héritier paraît plus raisonnable lorsqu’elle se dirige contre un acte de renonciation frauduleuse[59] à un héritage solvable. Si une telle action sera admise par le juge, les créanciers doivent ultérieurement accepter par voie oblique[60] la succession, déclencher la procédure judiciaire successorale, tout en obtenant le partage successoral, et, au bout du compte, poursuivre effectivement les biens allotis à leur débiteur-héritier. Facile à dire, mais embarrassant à faire ; s’agissant d’un long et coûteux trajet juridique pour les créanciers personnels du successeur. Cependant, chaque fois qu’on admet l’action paulienne, elle ne va produire que d’effets relatifs, assez restreints, à savoir à l’égard des chirographaires de l’héritier. En outre, l’héritier poursuivi est désormais libre à opter comme il veut, et, aux yeux de ses cohéritiers, son statut successoral (acceptant/renonçant) dépendra uniquement de son acte concret d’option successorale (acceptation/renonciation).

Les créanciers chirographaires de la succession, à savoir pour l’essentiel ceux du de cujus, jouissent-ils à l’égard de l’option successorale des mêmes possibilités juridiques que les créanciers personnels des héritiers ? À première vue, la réponse serait positive[61]. Il faut cependant apercevoir que leur intérêt successoral est distinct, et que la transmission mortis causa de la dette corrélative à leur droit impose un autre comportement. Ainsi, pour les chirographaires successoraux, l’acte de l’option successorale ne présente aucun intérêt particulier, car ils se peuvent faire payer même si la succession est vacante, les biens du de cujus étant affectés à ce but, et l’office de solvens sera fait par la commune (ou l’Etat)[62]. De ce fait, s’ils agissent par voie oblique pour que la succession soit acceptée par l’héritier négligent, une telle solution n’a pourtant aucune valeur pratique (quoique possible). De surcroît, la loi[63] permet aux chirographaires successoraux à déterminer qu’un successible précise son attitude à l’égard de l’héritage, mais les effets d’une telle action provocatrice sont encore sans consistance pratique. Enfin, l’action paulienne mise à la portée des créanciers successoraux, et utilisée pour anéantir un acte frauduleux d’option successorale n’a pas de sens juridique pour eux (quoique possible). Il en est ainsi, parce que ce genre de créanciers n’est par principe pas intéressé par la personne du solvens, mais des biens à poursuivre, eux ayant le droit d’être payés avant le partage successoral[64].

Ensuite, il convient de rappeler que l’actuel système successoral roumain ne consacre plus l’ancien mécanisme de la séparation de biens. De lege lata, on ne mélange automatiquement plus les deux catégories de biens (successoraux et personnels), et il n’est plus « nécessaire une démarche particulière »[65] de la part des créanciers successoraux pour aboutir à la séparation successorale de patrimoines. Aujourd’hui, on ne parle en droit roumain que d’un seul patrimoine – appartenant à l’héritier, qui comporte deux masses de biens assez distinctes : une successorale, l’autre personnelle. L’existence des masses poursuit dans un laps de temps compris entre le jour de l’ouverture de l’hoirie et celui du partage successoral. Après ce dernier moment, au sein du patrimoine de l’héritier n’aura aucune division interne en masses distinctes. Le but suivi par la loi en prévoyant les deux masses est d’empêcher le concours entre les créanciers successoraux et ceux personnels des héritiers. Ainsi, avant le partage successoral, ces derniers créanciers ne peuvent pas poursuivre les biens successoraux qui sont en revanche mis à la disposition des créanciers successoraux. Après le partage successoral, le concours s’ouvre entre tous les créanciers pour tout bien de leur débiteur. Toutefois, même dans cette étape, ainsi qu’on a déjà vu plus haut, les créanciers successoraux « se feront payer avec préférence à l’égard des créanciers personnels de l’héritier » des « biens successoraux allotis lors du partage, ainsi que de ceux qui les remplacent dans le patrimoine de l’héritier » [66]. La préférence légale octroyée aux créanciers successoraux est d’ailleurs identifiée à un privilège[67] proprement dit dont l’assiette porte sur les biens hérités.

La conclusion générale serait que le droit commun des obligations est à observer même lorsqu’il s’agit des créanciers successoraux et personnels des héritiers, avec un certain spécifique, issu évidemment du droit successoral, dont on détache le privilège homonyme et l’inanité de l’action oblique octroyée aux créanciers successoraux.


* Faculté de droit de l’Université Babeș-Bolyai de Cluj, Roumanie; vpaul@law.ubbcluj.ro

[1] En droit français, on explique la transmission mortis causa des obligations issues de l’acte juridique par le biais de la stipulation « pour ses héritiers et ayants cause », v. l’article 1122 C.civ.fr.

[2] La reprise conventionnelle de la dette est règlementée dans le Code civil roumain de 2009 (art. 1599-1608 C.civ.ro.).

[3] Art. 1282 alin. (2) C.civ.ro.

[4] A. Bacaci, G. Comăniţă – Drept civil. Succesiunile, ed. Universul Juridic, Bucureşti-2013; M.D. Bob – Probleme de moşteniri în vechiul şi în noul Cod civil, ed. Universul Juridic, Bucureşti-2012; D. Chirică – Tratat de drept civil. Succesiunile şi liberalităţile, ed. C.H. Beck, Bucureşti-2014; F. Deak, R. Popescu – Tratat de drept succesoral, vol. II, Moştenirea testamentară, ed. Universul Juridic, Bucureşti-2014; I. Popa – Drept civil. Moşteniri şi liberalităţi, ed. Universul Juridic, Bucureşti-2013; M. Grimaldi – Droit civil. Successions, ed. Litec, Paris-2001; A.M. Leroyer – Droit des sucessions, ed. Dalloz, Paris-2009; F. Terré, Y. Lequette – Droit civil. Les successions. Les libéralités, ed. Dalloz, Paris-1997.

[5] e.g. les articles 1155-1159, art. 1114 et art. 1427 C.civ.ro.

[6] La coexistence est assurée par le système de l’acceptation de la succession. Ainsi, l’une pure et simple implique l’application de la confusion entre le patrimoine hérité et celui du successeur, la suite étant la responsabilité du dernier avec ses propres pour les dettes successorales, tandis qu’une acceptation à concurrence de l’actif net (appelée jadis « sous bénéfice d’inventaire ») empêche une telle confusion, et l’acceptant sera tenu intra vires successionis.

[7] Le Code civil roumain a renoncé de lege lata au système de l’acceptation successorale sous bénéfice d’inventaire, en instituant les conséquences d’une telle acceptation ope legis (automatiquement), au moins qu’il n’y ait acceptation forcée dont la suite sanctionnatrice sera la confusion patrimoniale, l’acceptant forcé étant tenu à payer ultra vires successionis (art. 1114 et 1119 C.civ.ro.).

[8] Ou de la « masse successorale », ou bien tout autre syntagme suggérant que de l’autre côté se trouve non pas une personne, mais uniquement des biens.

[9] Art. 867 C.civ.fr.

[10] Qui est – pour cette portion, aussi un créancier, son propre créancier.

[11] « L’expression est trompeuse, car la créance figure déjà dans la masse à partager, il s’agit plutôt d’allotir l’héritier débiteur de la succession de la créance que la succession a à son égard. », v. A.M. Leroyer – op.cit., p. 424-425.

[12] Art. 1158 C.civ.ro. Pour le droit français, v. art. 864-867 C.civ.fr.

[13] Art. 1158 alin. (4) C.civ.ro.

[14] Art. 1158 alin. (2) C.civ.ro.

[15] D’abord on détermine la somme en argent de l’obligation (le cas échéant), ensuite on calcule la masse à partager, tout en additionnant la créance successorale (un actif patrimonial), puis on partage ce qui en résulte aux quotes-parts successorales, et à la fin le débiteur-héritier voit sa portion successorale amoindrie effectivement de la valeur de sa dette (qui se retrouve ainsi dans son lot).

[16] Art. 1158 alin. (3) C.civ.ro.

[17] Art. 1617 alin. (1) C.civ.ro. C’est là qu’on n’envisage évidemment que la compensation dite légale dont l’effet est automatique, ope legis.

[18] Art. 1157 alin. (3) C.civ.ro.

[19] Art. 1155 alin. (2) C.civ.ro.

[20] On désigne ici par le mot tiers toute personne qui n’est pas héritier.

[21] Art. 1114 alin. (3) C.civ.ro.

[22] Pour cela, il faut compter combien pèsent ces biens dans l’ensemble de la masse successorale, et la fraction ainsi calculée sera la quote-part du passif à payer par le légataire à titre particulier.

[23] Celui-ci ne comprend pas les devoirs successoraux, tels que ceux liés à la mémoire du défunt, ceux issus des actes informes du mort ou des règles morales de conduite à tenir, en raison du fait qu’ils sont démunis de tout contenu patrimonial.

[24] Celle-ci a remplacé depuis 2006 l’ancienne acceptation sous bénéfice d’inventaire, leurs effets respectifs étant presque identiques, v. A.M. Leroyer – op.cit, p. 325.

[25] M. Grimaldi – op.cit., pg. 556.

[26] Art. 1119 alin. (2) C.civ.ro.

[27] C’est pour cela que le droit roumain ne connaît pas la faculté de décharge, prévue à l’article 787 alin. (2) C.civ.fr.

[28] Dont l’effet aujourd’hui est identique à l’acceptation pure et simple qui existe (encore) en droit français.

[29] Art. 1114 alin. (2) C.civ.ro.

[30] Il ne s’agit d’une responsabilité civile proprement-dite, mais de l’idée que l’héritier sera tenu à régler les dettes successorales.

[31] Par exception, si la responsabilité ultra vires était la marque de la continuation de la personnalité du de cujus, il en résulterait qu’une telle continuation ne peut être que l’effet d’une sanction, celle de l’acceptation forcée de la succession.

[32] Art. 1155 alin. (2) C.civ.ro.

[33] Malgré le fait que le système roumain connaît l’espèce des héritiers saisis, la loi ne comprend aucune disposition pour éclaircir le rôle de ceux-ci dans la mise en œuvre du payement successoral. De ce point de vue, les successeurs (saisis ou pas) jouent comme des solvens dont le statut juridique paraît non-successoral. Autrement dit, ces héritiers font figure plutôt de mandataire du défunt que de successeurs, parce qu’ils payent moyennant les biens d’autrui (mort) une dette qui n’est leur que dans la mesure où elle n’outrepasse pas l’actif successoral. Dans ce cas-là, on accepte la succession uniquement pour régler le passif d’autrui avec ses biens, et s’il en reste encore un plus patrimonial, l’héritier peut le cueillir.

[34] Art. 1157 alin. (2) C.civ.ro.

[35] « Le recours entre les successeurs. L’insolvabilité de l’un des successeurs ».

[36] Si l’obligation est indivisible et commune aux héritiers, le texte n’a pas d’application.

[37] Voici un motif d’appoint – à côte de la règle imposant la responsabilité successorale intra vires liée à l’acceptation volontaire de la succession, pour lequel la loi roumaine a renoncé à la séparation des patrimoines, encore prévue en droit français, à l’article 878 C.civ.fr.

[38] Art. 31 C.civ.ro.

[39] Art. 1624-1628 C.civ.ro.

[40] On parle de la règle « de la divisibilité de plein droit des obligations », cf. art. 1155 alin. (3) C.civ.ro., qui comprend même les obligations solidaires, v. art. 1460 C.civ.ro., sauf celles indivisibles, v. art. 1425 et 1427 C.civ.ro. Pour le droit français, il faut se rapporter à l’article 1220 C.civ.fr.

[41] A chacun sa part à la fois de gain et de perte ; il serait question d’un effet particulier de la justice commutative.

[42] Art. 1114 alin. (2) C.civ.ro.

[43] Art. 1155 alin. (3) C.civ.ro.

[44] Ibidem la lettre b).

[45] Art. 1593-1598 C.civ.ro.

[46] Art. 1157 alin. (1) C.civ.ro.

[47] Art. 1424, 1427, 1460 C.civ.ro.

[48] Art. 1157 alin. (3) C.civ.ro.

[49] Art. 1596 lettre d) C.civ.ro.

[50] Art. 1157 alin. (1) et art. 1596 lettre d) C.civ.ro.

[51] Les créanciers munis de sûretés réelles n’ont aucun intérêt à la succession échue à leur débiteur, car la nature de leur garantie l’offre la possibilité de se voir payer directement par l’exécution de leur sûreté (gage/hypothèque).

[52] Art. 1107 C.civ.ro.

[53] Art. 1560-1561 C.civ.ro.; P. Vasilescu – Drept civil. Obligaţii, ed. Hamangiu, București-2012, p. 100.

[54] Art. 1156 alin. (1) C.civ. ro.

[55] M. Eliescu – op.cit., p. 335.

[56] On a pu croire soutenir que les créanciers seraient tenus à prouver aussi la fraude de leurs intérêts machinée par leur débiteur, v. ibidem.

[57] Art. 1562-1565 C.civ.ro. P. Vasilescu – op.cit., p. 105.

[58] Sous l’ancien code roumain, l’acceptation d’une succession insolvable pouvait être apriori considérée comme frauduleuse, car l’acceptant répondait des dettes successorales ultra vires hereditatis, ce qui valait une diminution du gage général de ses créanciers personnels qui se voient d’ailleurs entrer en concours avec les créanciers successoraux.

[59] v. la décision civile n° 21/1985 du tribunal de Suceava ; la décision civile n° 639/1966 du tribunal de Banat, C.S. Ricu – Moștenirea legală. Partajul succesoral. Practică judiciară adnotată, ed. Hamangiu, București-2009, p. 199.

[60] L’ancien code roumain prévoyait ad litteram cette solution (art. 699).

[61] I. Popa – op.cit., p. 452.

[62] Art.  1138 et 1139 C.civ.ro.

[63] De l’art. 1113 alin. (1) C.civ.ro. est déduite l’idée que même les créanciers successoraux sont en droit de formuler une telle demande.

[64] Art. 1155 alin. (2) C.civ.ro.

[65] V. Stoica – Drept civil. Drepturile reale principale, ed. C.H. Beck, Bucureşti-2013, p. 14; v. art. 1114 alin. (2) et art. 1155-1156 C.civ.ro.

[66] Art. 1156 alin. (5) C.civ.ro.

[67] I. Popa – op.cit., p. 512.

 
 
 

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