Numărul 4 / 2016

ARTICOLE

 

 

L’EXIGENCE DE SECURITE JURIDIQUE : « LE FAIRE JURIDIQUE » A L’EPREUVE DE LA CONFIANCE COSOCIETAIRE

 

Bjarne Melkevik*

 

 

 

Abstract: The requirement of legal security:   How should legal security be understood? The author considers it as a requirement that the actors of a legal system undertake to respect, implement and improve for the benefit of citizens and litigants. He argues that it is an intellectual false move to understand "legal security" exclusively as a dogmatic or theoretical concept, where we should more appropriately understand it in its practice and as an ambition relative to how to "make-the-law". Therefore, the author attempts to make this requirement clear and transparent by analyzing how actors understand the legal system and how they should be committed to a complex understanding of legal security from the citizens and litigant’s viewpoint. He analyzes legal security in the light of the autonomy of law, as well as a service to be rendered efficiently, properly and legally to citizens and litigants. Finally, the author argues that legal certainty is verified exclusively in the degree of real trust and honesty that the citizens grant their legal system.

Résumé : Comment comprendre la sécurité juridique ?  L’auteur l’envisage en tant qu’une exigence, que les acteurs d’un système juridique s’engagent à respecter, réaliser et perfectionner au bénéfice des justiciables. Il soutient que c’est un faux pas intellectuel de comprendre la « sécurité juridique » exclusivement comme un concept dogmatique ou théorique, là où il convient mieux de la comprendre dans sa pratique et comme une ambition relative au comment « faire-le-droit ». De ce fait, l’auteur cherche à rendre cette exigence plus claire et limpide en analysant comment les acteurs du système juridique comprennent et s’engagent en faveur d’une sécurité complexe comprise à partir des justiciables.  Il analyse la sécurité juridique à lumière de l’autonomie du droit ainsi que dans le service qu'elle rend efficacement, adéquatement et juridiquement aux justiciables. Enfin, l’auteur soutient que la sécurité juridique se vérifie exclusivement dans le degré de confiance réelle et honnête que les cosociétaires accordent au système juridique.

                Keywords: legal security, the rule of law, procedural law, theory and practice in law, philosophy of law, legal modernity

Mots clefs : sécurité juridique, le règne du droit, droit procédural, théorie et pratique en droit, philosophie du droit, modernité juridique

 

 

 

 

La « sécurité juridique » fait partie des exigences dont un système juridique va se doter et qu’il s’engage à respecter.

Le mot « sécurité juridique » (de même que celui de « sécurité judiciaire ») va s’énoncer à l’intérieur d’un ordre juridique moderne. Elle a pour ambition d’être à la hauteur de cette aspiration et de l’optimaliser autant que possible. De ce fait, la sécurité juridique n’exprime qu’un ensemble de prérequis à réaliser et que tout homme souhaiterait raisonnablement voir s’accomplir, par et à l’intérieur d’un système juridique à son service.

Cela fera l’objet de notre article. Il convient tout de même de souligner que le sens à attribuer à ces exigences est loin d’être entièrement clair, limpide et non controversé. 

 

            Les leurres du concept et la vigilance intellectuelle.

Retenons au préalable que les « définitions », les « concepts » et les « normes » attribués à la sécurité juridique risquent rapidement de nous égarer, de tromper notre esprit ainsi que notre vigilance,[1] là où il convient, a contrario, de l’envisager analytiquement et semblablement à un « ensemble de sens » à établir, à résoudre et à dénouer. C’est un faux pas, autant pratique que théorique, que de vouloir dissoudre le tout dans des concepts doctrinaux.  Cela ne nous éclairera pas, bien au contraire, cela cristallisera improprement toute question de droit à l’intérieur d’une dogmatique servant l’esprit d’une orthodoxie préétablie, le tout, au détriment de toute santé juridique.

A contrario, l’exigence de sécurité juridique se comprend mieux sous le mode de plusieurs vecteurs pratiques et complexes, qu’il convient invariablement de vérifier et de revérifier au niveau du « réel ».  C’est dans la réalisation d’un « faire droit » que toute question de droit prend son sens. C’est ainsi que se dessinent ses propres contours, ne soient-ils qu’imparfaits et temporaires. Une question de droit se comprend plus facilement sous une intrigue à résoudre et sur le fond d’un iuris prudentia qui sert l’entreprise juridique, le faire droit.

 

            Sécurité individuelle et sécurité sociale et politique.

En conséquence, il est utile de souligner que la « sécurité juridique » n’est pas entièrement comprise (et vécue) sans l’interrogation sur la sûreté « réelle », personnel, civil, social, religieux, et ainsi de suite. C’est-à-dire que la sécurité juridique en tant que telle ne signifie pas forcément qu’on a affaire à une situation où existent des garanties de sûreté réelles aux justiciables, générant une protection efficace et active, autant pour un individu que pour un acteur économique, social, institutionnel.

En réalité, il s’agit autant d’une situation « sécuritaire » (rattaché à la politique, à l’efficacité d’un système juridique et à la probité et l’efficacité sans faille de l’ordre policier)[2] que d’une condition sociale de sécurité individuelle, de commerce et d’intersubjectivité.

La « sécurité juridique » peut, avec bonheur, être assimilée à une « assurance » collective (rattachée à la situation de civilité, prévisibilité, tranquillité d’une société spécifique) et à un « état d’esprit » qui assure et engage (ou désavoue) le sentiment d’être en sécurité.

C’est, de la sorte, un « support », un « moyen », pour agir avec dextérité et adresse dans une société donnée ; plusieurs théoriciens du droit l’associent même à « un droit naturel » (comme l’affirmait d’ailleurs la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789[3]) et à une prérogative rattachée à l’être humain (c.-à-d. au droit de l’Homme)[4].

C’est également un « ordre », un agencement, à la disposition et en charge de la « sécurité juridique » (à savoir les institutions judiciaires ; le parquet ; et les huissiers, les « shérifs » et les « marshals » (en tant qu’auxiliaires d’un système judiciaire efficace), et la gardienne, le dépositaire, d’un sentiment et d’une confiance subjective d’être en « sécurité » et à l’abri des calamités d’ordre moral, religieux, social.

                                    *          *          *          *          *

Il convient, après ces liminaires, d’apporter plus de chairs, de contenu et de précisions, à notre étude.

Nous la débuterons avec une analyse plus juridique du sens à attribuer à l’exigence de « sécurité juridique » (1), ceci afin d’identifier ses multiples vecteurs à évaluer et à faire fonctionner correctement à l’intérieur d’un ordre juridique moderne.

Nous poursuivrons, ensuite, par l’analyse de la sécurité juridique en tant qu’exigence d’être au service des individus (2). Nous verrons que, de ce fait, il est possible d’arriver à l’optimaliser et à la réaliser (autant que possible) pour tous. Il s’agit de mettre en avant, tel un litmus test[5], la question de confiance que les acteurs sociaux accordent (ou n’accordent pas) en pratique, à un système juridique.

Si l’on compare cela pareille à une bataille qu’un système juridique mènerait à lui-même, la sécurité juridique pourrait s’aborder sur deux fronts :

  • l’une vers l’extérieur : il s’agirait de la question de l’autonomie du droit et du système judiciaire
  • l’autre vers l’intérieur : représentée par la lutte permanente et ardue consistant à servir adéquatement tous les justiciables en équité et honneur.

 

  1. Sur le sens pratique à accorder à la sécurité juridique.

 

Examinons, en premier lieu, le sens à accorder à l’exigence de sécurité juridique en tant qu’ensemble d’exigences, complexes et composées d’éléments divers et divergents, quant au droit moderne.

Avec une telle compréhension, il nous semble pertinent de nous servir d’un texte qui fait autorité : le Rapport public 2006 du Conseil d’État français sous-titré « Sécurité juridique et complexité du droit »[6]. Celui-ci se distingue favorablement par la qualité de sa dissertation réflexive et informée en ce qui concerne l’exigence de droit dans une société moderne[7]. Aussi, nous commencerons notre analyse par un examen de ses propos, dans le but de circonscrire, à grands traits, l’exigence de sécurité juridique.  

 

            Le principe de sécurité juridique.

Primo, il convient d’observer le fait que le Conseil d’État (français), fidèle à la tradition française, définit et appréhende la sécurité juridique en tant que « principe ». Pour les rédacteurs du Rapport, il s'agit d’une « exigence princière » qui, avant toute autre source argumentative, acquiert, de par l’importance accordée à un « état de droit de qualité », une préséance sur toutes autres considérations positives[8]. Elle se conçoit, de ce fait, en tant que principe téléologique (ou finaliste) par l’aveu (exprimé avec autant de candeur que de présomption) des rapporteurs du Conseil d’État (Français) : « [L]e principe de sécurité juridique ne figure ni dans notre droit administratif, ni dans notre corpus constitutionnel. Certains auteurs vont même jusqu’à qualifier le concept de « clandestin ».[9]

Or, un principe finaliste constitue un désaveu fort et clair aux théoriciens de « constructivisme », voire de « constitutionnalisme théorique », de même qu’aux partisans de la « konsept-lehre » (c.-à-d. l’apprentissage par concept) à la française. En effet, si l’on perçoit la sécurité juridique comme une finalité, elle devient clairement l’objectif que tout système juridique souhaite acquérir, le tout, en faveur d’un « droit » perfectible.

Autrement dit, on ne peut comprendre ce concept que par la finalité d’une pratique, par la volonté de la réaliser autant que faire se peut.

C’est ici, avec des mots philosophiques – et certainement iusphilosophiques –, un finalisme de choix (n’ayant donc aucun « intention, cause et effet ») qu’adopte un système juridique (en l’occurrence français) en tant que « fin », pour s’améliorer, s’instruire et pour rendre compte de cette exigence. 

Quant à l’explication de ce principe, le Conseil d’État (France) affirme plus précisément que : 

« Le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles »[10].

Sans ambiguïté, cette assertion affirme que la sécurité juridique doit être évaluée, sans tricherie, par et à partir des citoyens. Le principe se réfère à la « réalité vécue », à la perception et à l’appréciation que se font, en toute autonomie, les citoyens quant à l’efficacité et au sérieux de ce principe.

C’est donc aux cosociétaires que revient le lourd tribut d’apprécier si la sécurité juridique disponible et réelle leur suffit ou tout du moins, les rassure, tant au niveau de leur propre personne qu’à l’égard de leurs intérêts personnels et particuliers. Cela touche donc à la fois l’économie, le social, la politique et la liberté religieuse. À tout moment, ils auront à évaluer si le système juridique, ou encore judiciaire a un sens pour eux, ou, plus sobrement, si ces derniers leur servent adéquatement, équitablement et avec respect.  Si cette évaluation se révèle être « négative », c’est qu’il n’y a pas de réelle sécurité juridique et tous les beaux discours venant d’en haut ne changeront rien à cette situation.

Dans le processus d’évaluation, la compréhension rationnelle de ce qui est « légal » et « illégal » (de même que légitime et illégitime) sert de guide au verdict pratique des cosociétaires, et surtout à ceux qui se retrouvent dans une position sociale, politique, religieuse, sociale, culturelle, de vulnérabilité et/ou de discrimination ouverte ou déguisée.

 

            D’être clairs et intelligibles

C’est à partir de cette compréhension que vont s’installer, rationnellement, l’insistance sur la publicité ainsi que l’accessibilité et la « lisibilité » des textes, que les cosociétaires doivent librement s’engager à respecter. Comme l’affirme le Conseil d’État (français), les textes législatifs édictés (rebaptisés « normes » à l’intérieur d’un a priori doctrinal à la française) « doivent être clairs et intelligibles »[11], en tant que communication adressée aux individus sans formation juridique, ceci, afin d’accroître le degré de sécurité juridique des cosociétaires. 

À partir de ce principe, vont s’ajouter deux axes d’intellection et de précision : un axe formel sur la qualité de la loi et un axe temporel quant à la prévisibilité de la loi.

            La qualité de la loi.

L’axe formel de la sécurité juridique, c’est « la qualité de la loi »[12]. Là-dessus, le Conseil d’État (français) énonce explicitement et sans ambiguïté, qu’une des dimensions primordiales de la « loi », c’est sa « clarté ». C’est le fait qu’elle soit formulée de façon compréhensible, non ambiguë et surtout, qu’elle soit « intelligible » pour des non-juristes. La législation ne doit à aucun moment devenir un piège pour les non-juristes.

Comme le Conseil d’État l’explique :

« La loi est faite pour prescrire, interdire, sanctionner. Elle n’est pas faite pour bavarder, créer des illusions, nourrir des ambiguïtés et des déceptions. La loi doit être normative : la loi non normative affaiblit la loi nécessaire en créant un doute sur l’effet réel de ses dispositions.

(…….).

Pour savoir ce que prescrit la loi, il ne suffit pas qu’elle soit matériellement accessible. Il s’agit certes là d’une exigence essentielle, et la publication de la norme, qui est destinée à la rendre accessible, constitue d’ailleurs une condition de son opposabilité. Mais il aussi que la norme soit intelligible. L’intelligibilité implique la lisibilité autant que la clarté et la précision des énoncés ainsi que leur cohérence. Elle suppose encore que les règles prennent toute leur portée à la lumière du corpus juridique dans lequel elles sont appelées à s’insérer, sans qu’il faille, pour y parvenir, faire appel à trop de dispositions extérieures au texte .»[13]

La qualité de la législation[14] et l’intelligence discernable de la loi[15] se confirment (ou se nient) de façon quotidienne, tant au niveau de l’interprétation qui en est faite par des juristes indépendants (des avocats, des notaires, des conseilleurs juridiques, etc.) que celle faite par des juristes au service des contribuables. Il en va de même pour des non-juristes (fonctionnaire, administrateurs, policiers, etc.).

Qu’elle soit formulée dans la pratique ou bien donnée sur la base de conseils juridiques pour les justiciables, c’est principalement l’interprétation juridique faite par des acteurs ayant une formation juridique qui doit compter et être respectée, autant que possible. Dans le cas contraire, elle doit être révisée dans un procès judiciaire, et ce, de manière juste et équitable.

Pourtant, l’interprétation qui est faite par des non-juristes doit également être examinée avec soin et respect. C’est en effet de cette manière que l’on peut arriver à déceler le piège créé par la non-clarté d’une loi (et ses accessoires). Ce n’est que de ce fait que la sécurité juridique pourra se préciser et se stabiliser.

Bien entendu, le sens à établir, à créer, par l’acte interprétatif d’une loi (de même que par son mis en œuvre), doit être « égal pour tous », ou, plus exactement, il doit être capable de passer le test d’une égalité « universable »[16] ou d’une universalisation « égale »[17].   

Si les mots de la loi, dans le processus de l’interprétation, « prennent toute leur portée à la lumière du corpus juridique dans lequel elles sont appelées à s’insérer »[18], l’acte de donner un sens à un texte législatif ou réglementaire, se réalise en l’insérant dans l'intelligence constituée dudit « corpus juridique » en tant que jurisprudence. Cela se fait en assumant que, dans le processus interprétatif d’une source de droit, s’accomplit une œuvre commune (d’avocats, de jurés et de juges) et que se réalisent, non seulement l’exigence d’harmonie juridique et législative, mais également un respect des individus et une cohérence jurisprudentielle, par rapport à ce qu'a produit de mieux le système juridique jusqu’à présent[19]. L’acte interprétatif s’active, certes, à l’égard d’un cas particulier, mais il se fait toujours à l’égard, figurativement parlant, de la santé entière d’un système juridique de qualité.

Mais quand, par malheur, la sécurité juridique se trahit, « se brise », ou simplement lorsque l’on constate qu’un acteur du système triche ou utilise des procédés inusités ou déshonnêtes, ne soit-il qu'au niveau de l’interprétation, c’est le système juridique tout entier qui souffre et qui se rétrograde.

On peut comparer cela à une pomme pourrie dans un panier : le fait qu’elle soit là représente faussement le panier, le fait qu’elle y demeure risque de tout contaminer, de tout faire pourrir, et le fait de ne pas l’enlever signifie en devenir complice.

Ainsi, il est facile d’endommager, de détériorer, de détruire un système juridique. On peut le faire de multiples manières : par lâcheté, par paresse et avec iniquité non avouée, en ayant des partis-pris, en étant complice ou tout simplement en laissant aller les choses sans trop d’esprit, sans trop d’engagements.

Mais si l’on veut changer la donne, en faveur d'une santé juridique de qualité, la construction du système juridique s’effectuera étape par étape, le tout avec intelligence (juridique), rationalité et logique.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que si nous faisons mal notre travail, le « droit » sera en conséquence, mal, mauvais et injuste[20] !

 

            La prévisibilité de la loi.

L’axe temporel c’est « la prévisibilité de la loi »[21], et la sécurité juridique en dépend fortement.

« Le principe de sécurité juridique suppose que le droit soit prévisible et que les situations juridiques restent relativement stables.

La prise en compte de l’exigence de sécurité juridique entre parfois en concurrence avec l’application du principe de légalité, principe essentiel du droit public même si les deux concepts se renforcent mutuellement. Le principe de légalité peut avoir des conséquences sur la sécurité juridique, notamment en cas d’annulation contentieuse à caractère rétroactif, ou encore dans les hypothèses de revirement de la jurisprudence.

Cette prise en compte doit, en outre, rester compatible avec la nécessité de réserver au pouvoir politique et à l’administration les marges de manœuvre nécessaire à l’application de son programme et à l’exercice de ses missions de service public. Il en résulte un principe d’adaptation ou de mutabilité. Le concept de sécurité juridique ne saurait en effet constituer, comme certains le redoutent, « un habillage moderne du conservatisme juridique, un mécanisme institutionnalisé de protection des situations acquises, même injustes, au nom de la stabilité de la règle de droit ».[22]

L’inflation législative actuelle, que l’on pourrait comparer à un tsunami annuel de lois et de changements de lois[23], nuit considérablement à la prévisibilité législative. On ne peut que le comprendre lorsque l’on se retrouve face à des lois issues de promesses déjà irréalistes (en réalité faite pour ne jamais être réalisées) ou idéologiques (en réalité faite pour gagner les élections), ou encore truffées d’imprécisions linguistiques, conceptuelles, ou bien ayant des « portées incertaines ».

Il en va de même avec l’incohérence entre les textes législatifs, les textes réglementaires et les « ordres administratifs ».

Tout ceci nous amène à tirer la sonnette d’alarme : nous sommes devant un climat législatif, politique et juridique qui, en se causant son propre préjudice[24], va réellement finir par se nuire [25].

 

Légitimité et légalité.

Il existe (avec certitude) une liberté d’action et d’appréciation étendue au niveau politique et législatif. C’est, en effet, le rôle d’une instance législative que d’agir en tant qu’arbitre des intérêts divergents. Mais tout le monde ne peut pas être entièrement satisfait d’un tel processus d’arbitrage.

Aussi, si cette liberté politique a des conséquences importantes pour les citoyens et leurs affaires, il ne faut jamais perdre de vue qu’une législation mal-formulée, mal pensée et intempestive (voire discriminatoire) peut nuire et avoir des effets non souhaitables, voire même désastreux, autant sur le niveau individuel, que sur le niveau économique et social. 

L’ancrage démocratique de la politique moderne exige, de ce fait, que la « légitimité et la légalité » aillent de pair. La légitimité (dont disposent exclusivement en démocratie les cosociétaires) nécessite, au niveau de l’espace démocratique, un débat ouvert et non biaisé où tous les intérêts et les points de vue peuvent être officialisés et thématisés, sans contrainte, au vu et au su de tout le monde[26].

Il convient également de s’assurer que les cosociétaires disposent d’une voix au chapitre, pour que les médiations et les arbitrages gouvernementaux, voire les conciliations ou accommodements sociaux, économiques et politiques, puissent s’effectuer en harmonie. Surtout, il ne faut pas que ce soit la plus faible partie (inévitablement un segment, une portion, une « minorité » des citoyens), qui se retrouve à payer seule les frais.

Le « principe d’adaptation ou de mutabilité »[27], dont il est fait référence dans le Rapport du Conseil d’État (français), prend de ce fait son sens, en tant qu’appel à la vigilance et en faveur d’une vraie prudence juris. Ce qui signifie qu’il convient de reconnaître que légalité va de pair avec la légitimité des intérêts de tous, et surtout avec ceux des citoyens ordinaires, face à un État ou une collectivité qui leur est hostile ou indifférente.

Au-delà des revendications et des calculs économiques, nous pouvons révéler, sans ambiguïté, que la sécurité de l’individu est primordiale. Aussi, nous pouvons simplement nous permettre de dire « tant pis pour l’État », tant pis pour le nationalisme et le collectivisme. Il faut savoir chasser le penchant néfaste et atavique qui consiste trop souvent à sacrifier l’individu, pour le bien ou la justice, supposément, de tous ! 

Si subséquemment la sécurité juridique prend (ou perd) son sens au niveau des citoyens, il convient en toute franchise d’affirmer, haut et fort, que les autorités politiques doivent toujours, et sans exception, jouer cartes sur table, sans tricherie, sans double jeu, et surtout, en respectant sans défaut le besoin vital des cosociétaires quant aux clartés de prévisibilité et de sécurité.  Réduire quelqu’un à un simple intérêt économique ou réduire un citoyen ordinaire au statut de « victime » de la loi, détruisant son investissement, ses activités professionnelles, sa vie et sa situation économique et sociale, c’est la négation de sécurité juridique qui se dévoile, se démontre. La question de « prévisibilité » quant à la capacité et la liberté d’agir en toute confiance est sans doute primordiale pour une sécurité juridique de qualité. Mais elle nécessite en conséquence une vigilance constante de la part de la communauté juridique. 

 

            Non-rétroactivité et droits acquis.

En outre, le Conseil d’État (français) requiert deux exigences spécifiques pour assurer un système juridique sain et prêt et qui confère, confirme, à ses sociétaires, citoyens, la capacité de s’engager en confiance dans l’avenir : l'exigence de la non-rétroactivité de la loi, et l'exigence des droits acquis et de la stabilité des situations juridiques acquises ou admises.

Quant à la première exigence :

« La non-rétroactivité de la loi constitue l’un des fondements de la sécurité juridique : elle est impérative en droit pénal, et de façon plus générale en matière répressive, notamment pour des sanctions financières. Elle n’a pas la même portée dans les autres domaines où elle peut être dérogée par intérêt général.

Le juge constitutionnel a été conduit, en application de cette règle, à limiter les possibilités d’application des validations législatives, par nature rétroactives.»[28]

Et quant à la deuxième exigence, ciblant la protection des droits acquis et la stabilité des situations juridiques, elle dispose que :

« L’équilibre, ici encore, doit être atteint entre, d’une part, l’exigence de sécurité juridique et, d’autre part, les nécessités de l’adaptation et le respect de la légalité.

Pour le retrait des actes illégaux, cet équilibre n’est respecté que si des délais raisonnables sont fixés. L’Union européenne est ainsi divisée entre les pays qui retiennent de façon objective un délai dans lequel ce retrait peut intervenir, comme la France ou la Belgique, et ceux qui l’appréhendent au regard d’une appréciation subjective de la sécurité juridique, comme l’Allemagne ou l’Italie. »[29]

Il en découle, avec clarté, que le « temps » (c.-à-d. délais, prescriptions, extinctions, péremptions, nullifications, etc.) ne doit jamais devenir un piège pour les citoyens. La loi doit vraiment être « prévisible » à partir du cosociétaire, pour que la légalité gérée par le système judiciaire puisse adéquatement permettre aux citoyens de se repositionner, pour se réadapter, pour sortir d’une situation non souhaitable et pour se protéger autant que possible.

De ce fait, il convient d’être très attentif à ce que les rédacteurs de ce rapport, de cet avis du Conseil d’État (français), ne s’engagent aucunement dans une définition intégrale de ce qui constitue, potentiellement, un « droit acquis » et qu’ils ne conjuguent pas non plus ce concept classique avec une équivalence se rapportant per se aux « situations juridiques », à protéger en tant que telles. Les citoyens se trouvent, en effet, toujours engagés et impliqués dans des « situations juridiques » très complexes.

Également, la représentation doctrinale et la jurisprudence acquises au niveau du « droit acquis », risquent rapidement de se révéler insuffisantes, voire même boiteuses, pour l’évaluation en profondeur de ce qui porte atteinte à la sécurité juridique. De ce fait, on perçoit la nécessité d’analyser soigneusement des « situations juridiques » en détail, dans toutes leurs complexités, tel qu’elles sont comprises et vécues, autant économiquement, financièrement et socialement, que « légalement » par les citoyens.  L’argument pragmatique trouve aussi son utilité, à savoir qu’il convient de donner le temps nécessaire et adéquat pour qu’un citoyen puisse se repositionner et se réajuster si nécessaire. Cela fait aussi partie de la sécurité juridique.

L’interrogation sur la sécurité juridique ne constitue en aucune façon un monopole pour les spécialistes juridiques, judiciaires ou politiques. Plus encore, elle nécessite toujours une prise de parole et une critique de la part de nombreux acteurs.  Les discussions et critiques sur ce thème doivent d'être les plus larges et libres que possible, afin que l’état réel de la situation soit adéquatement compris et thématisé, au vu et su de tout le monde.

La sécurité juridique (et judiciaire) ne se réalise ni par des proclamations, ni par de belles paroles, mais, a contrario, par un processus d’apprentissage, d’une autopédagogie, d’éducation institutionnelle et de rationalité juridique. Il faut, en pratique, que l’ordre juridique veille et se prenne en charge pour assurer que la sécurité juridique et judiciaire fonctionne au service de la société civile, à savoir des cosociétaires.

C’est en pratique que les exigences de sécurité juridique (et judiciaire) se confirment ou se démentent.   

  1. La sécurité juridique vue à partir du système juridique.

 

L’adversaire, autrement dit l’obstacle, de la sécurité juridique, est souvent le fonctionnement réel du système juridique lui-même. Aucune théorie « de pacotille » ne doit nous le faire oublier.

Ainsi, toute réflexion sur la sécurité juridique et la sécurité judiciaire sera tronquée, faussée et mutilée, si elle ne prend pas en compte le fait que l’ordre juridique est (où doit être) « au service » et « à la disposition » de la société civile et des individus, avec des intérêts et des préoccupations variés et conflictuels. Ce sont ces « services » qui doivent être appréciés et évalués. La sécurité juridique ne se comprend donc pas par de belles paroles : elle s’effectue dans une lutte où c’est le système juridique qui s’engage avec et contre lui-même, pour être à la hauteur.  Une multitude de « libertés » sont nécessaires pour assurer cette sécurité juridique. On peut en citer trois d’entre elles : d’abord l’habeas corpus, ensuite un procès iudicium iustum et æquum (juste et équitable) et enfin l’audi alteram partem. Il va sans dire que les libertés mentionnées se chevauchent mutuellement et que le plus important c’est, transversalement, toujours la liberté de « ne compter pour qu’un ».

 

2.1. Habeas corpus.

Il n’existe pas de sécurité juridique sans habeas corpus[30]. C’est la condition sine qua non d’un ordre juridique sain et de qualité. Là où il n’y a pas d’habeas corpus, il n’y a pas de sécurité juridique en tant que telle et l’insécurité pourra régner en maître.

L’habeas corpus (c.-à-d. « sois maître de ton corps »), c’est une liberté (et un privilège) à l’encontre de l’arrestation (et toute équivalence) arbitraire. Il s’agit là d’une prérogative consistant à exiger de pouvoir se faire présenter, sans entrave, devant un juge pour être informé et pour se protéger judiciairement. Même si l’histoire du droit nous démontre certainement des antécédents historiques, l’habeas corpus a été le pilier des libertés anglaises et l’intellection du « règne du droit » (Rule of Law)[31].

Historiquement, l’habeas corpus est issu de la Magna Carta Libertatum Anglaise de 1215 (avec la Charte des libertés d’Henry 1er  Beauclerc de 1100 à l'arrière-plan). D’un privilège circonscrit à l’origine à la faveur de la noblesse et du clergé (et certaines notabilités), l’habeas corpus prend, par la jurisprudence et la réappropriation populaire anglaise, la figure d’une liberté du pays, une liberté de naissance de tout cosociétaire, une liberté pour tous.

C’est en 1679 que le Parlement britannique, par une loi dénommée « la loi d’Habeas Corpus » (c.-à-d. Loi pour mieux assurer la liberté du sujet, et pour la prévention des emprisonnements outre-mer[32]), consacre la prérogative et en précise le contenu[33] :

  • Tout juge en exercice peut, lorsqu’une personne certifie qu’il a été arrêté, ou contraint à sa liberté, délivrer un bref d’habeas corpus (c.-à-d. un writ[34]).
  • Les officiels qui détiennent la personne citée par l’ordonnance doivent se présenter avec ladite personne dans les trois jours, devant le juge qui l’a signé.
  • En l’absence de délit ou lorsque les charges sont manifestement insuffisantes, le juge va faire libérer la personne. Sinon, le juge va fixer une caution ou la réincarcérer après avoir examiné les charges et leurs gravités.
  • Les personnes détenues pour trahison ou félonie et non libérables peuvent exiger d’être jugées dès la prochaine session judiciaire (aujourd’hui : « dans un délai raisonnable »).
  • Le lieu de détention d’une personne ne peut être changé que pour quelques motifs prévus par la loi. Elle ne peut en aucun cas être transférée en outre-mer ou en Écosse, hors du ressort des tribunaux anglais.
  • Le juge qui ne remet pas une ordonnance d’habeas corpus, de même que l’officier qui a la garde d’une personne et qui n’y obéirait pas, est passible de fortes amendes, voire de destitution.

Retenons, en premier lieu, que les dispositions de cette Loi d’Habeas corpus n’étaient pas applicables aux affaires civiles. Ce n’est que par une Loi de 1816[35] que cela se précise et que sera affirmé que la protection de la liberté des citoyens doit être protégée également quant à la « détention » (et tout procédé qui de la même façon restreint la liberté normale d’un citoyen). Cette signification se retrouve d’ailleurs dans les Conventions internationales des droits de l’Homme. Elle est, aujourd’hui encore, considérée comme une exigence indispensable, dans le fonctionnement d’un ordre juridique moderne.

La sécurité juridique se conçoit, de la sorte, en pair avec son contraire, à savoir avec la non-sécurité juridique. Et la non-sécurité juridique peut aisément être associée à la pauvreté et au manque d’argent (ou de la disponibilité physique) pour se défendre et pour engager un avocat en vue de protéger et de sécuriser ses intérêts et, in fine, de sa propre personne (car la sécurité juridique d’une personne devient illusoire si elle ne peut en profiter en pratique). La non-sécurité juridique nous rappelle qu’il faut s’assurer, en pratique, que le droit se fait correctement et adéquatement, et d’une façon qui fait honneur au système juridique. De même, la non-sécurité juridique nous fait clairement ressentir la nécessité d’un ordre juridique autonome et honnête, au service de l’individu, et à un ordre social, politique et économique, où l’individu peut, avec respect, intégrité, liberté, veiller à ses propres intérêts et les présenter librement, dans une Cour de justice. 

La première lutte que tout système juridique doit jouer avec lui-même se résume dans son degré d’ouverture et de plasticité. Autrement dit, c’est dans sa capacité à assurer que toute personne qui le souhaite puisse accéder à un procès judiciaire ou arbitral. S'il faut chercher chez l'individu la raison qui le pousse à solliciter un accès au traitement judiciaire d’un problème ou d’un différend, c’est justement à lui qu’il revient de déterminer comment et de quelle façon, cela peut se réaliser.  À chacun de faire (ou non) le choix d'un procès ordinaire, par arbitrage ou médiation, et également de choisir un pays distinct ou dématérialisé dans une Cour d’arbitrage. Le plus important reste l’individu et ses intérêts propres.

À l’inverse, le fait de dresser des obstacles judiciaires ou législatifs, allant à l’encontre de la liberté des citoyens, doit être clairement identifié et délimité, et surtout examiné et justifié au niveau démocratique.  S’il est en effet légitime qu’un système juridique se réserve certains types d’exclusivités pour un procès sur place, cela doit être annoncé clairement et sans ambiguïté par la législation. En principe, un individu ne doit jamais se trouver dans l’impossibilité d’ester en justice (que cela soit de façon « ordinaire » ou arbitrale), car la possibilité de le faire c’est le lieu même où se confirme et où se nie toute question de droit[36].  En clair, le système juridique ne doit jamais devenir un obstacle pour celui qui y fait appel et qui souhaite soumettre son cas ! Et si cela peut sembler évident, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là du premier obstacle à la sécurité juridique.

 

Iudicium iustum et æquum

La sécurité juridique peut se concevoir par la prérogative de porter tout différent devant l’ordre judiciaire et que celle-ci soit réglée par un procès juste et équitable. Un « procès juste et équitable » (iudicium iustum et æquum), c’est avant tout un idéal, ou comme nous l’avons dit auparavant, une exigence que l’ordre juridique (et judiciaire) accepte de se donner en tant que « « accountability » (c.-à-d. en tant que responsabilité judiciaire et en tant que l’obligation de tenir compte et de rendre compte) pour ses activités. 

Historiquement, la 1re exigence d’un « procès juste et équitable » c’était d’être jugé par ses « pairs », par ses semblables, par ses égaux. C’était une exigence qui interdisait aux juristes (ou magistrat, fonctionnaire, juges professionnels) de « juger les autres », de juger par en – haut, et de juger en inégalité (car qui peut être l’égal d’un juriste ?). Le vrai juge (et le seul juge digne de ce nom) sera alors le « jury », et historiquement, c’est l’image du jury qui décide « en droit » et le magistrat-juge qui orchestre les séances judiciaires (c.-à-d. le maître des procédures), qui s’imposent. Le droit est alors une question d’égalité, créant rapidement controverses et scandales.

On peut le comprendre, car il s’agit d’un modèle de droit qui, depuis l’époque de l’absolutisme juridique et politique (à partir du 16e et 17e siècle), souffre.

Aujourd’hui, dans l’idéologie contemporaine de « gouvernances », il tend à être délaissé sur l’autel de l’efficacité et l’efficience[37], voire abandonné, au profit de l’office du juge en tant que nouveau « prêtre » (ou en tant que nouveau demi-dieu selon les mots de Ronald Dworkin[38]). 

Cet historique nous enseigne-t-il que le danger à l’encontre un « procès juste et équitable » vient en 1er lieu du Juge, représentant la première menace à la tenue d’un « procès juste et équitable » ?

Que la réponse soit affirmative nous semble évident. Et un des aspects (parmi tant d’autres) de cette menace se situe au niveau de la question de l’indépendance des juges.

De toute évidence, l’indépendance des juges (et arbitres) est un élément important pour assurer la sécurité juridique et judiciaire. Il faut clairement s'assurer que les juges puissent faire leur travail en toute tranquillité et sans interventions provenant de l’extérieur ou intérieur via la hiérarchie (que ce soit au niveau de la hiérarchie politique ou gouvernementale). Il faut tout simplement garantir que les juges travaillent au bénéfice de ceux qui font appel à leurs services et ceci, à partir du « droit positif » (ou droit arbitral). En réalité, il s’agit ici de faire en sorte que la justice ne penche pas que d’un côté, comme on peut l’illustrer avec la tour de Pise.

C’est en pratique et en détail que l’indépendance des juges (et les arbitres) se constate ou se dénie. En ce sens, la sécurité juridique est en définitive symbolisée par des juges (et des arbitres) sûrs de leurs carrières, de leurs sièges et de leurs rémunérations, de même que de leurs personnes, de la sécurité de leurs familles et de leurs proches. Ainsi, il s’agit d’assurer factuellement une telle sécurité contre tout procédés consistant à « dérouter », « intimider » et « paralyser », les juges, face à leur devoir et à l’égard d’un ordre juridique de qualité.  

À ceci, s’ajoute le professionnalisme ! Le professionnalisme d’un juge, magistrat ou arbitre, représente également une garantie contre l’insécurité juridique et judiciaire. Il faut que les juges (et les arbitres) sachent ce qu'ils doivent faire, qu’ils prennent pleinement conscience, professionnellement parlant, du fonctionnement d’un système juridique de qualité et enfin, qu’ils aient toutes les cartes en main pour assurer et perpétuer ce cheminement.

Le professionnalisme pourrait être comparé à un rempart, face à l’insécurité juridique (et judiciaire). Ainsi, comme tout bon garagiste sait qu’une voiture mal réparée tombera rapidement en panne (dans le meilleur des cas), tout juriste de profession sait qu’un dossier bâclé ne satisfera personne et aura des répercussions néfastes.  Contrairement à ce que l’on pourrait penser, personne ne sortira gagnant.  

Voilà pourquoi, dans l’exigence d’un procès juste et équitable, on vise plus précisément l’importance de l’impartialité, de la neutralité, de l’objectivité, de la « justice » et « de l’égalité ». Il convient donc de chasser, autant que possible, toute partialité, injustice et arrangements qui font de l’ombre à la tenue d’un procès juste et équitable, et qui peuvent ainsi déséquilibrer la balance de la justice. 

La raison d’être de l’exigence d’un « procès juste et équitable » se retrouve au niveau des justiciables eux-mêmes. En effet, ces derniers n’auraient aucun intérêt à aller s’adresser à un juge pour qu’il juge leur affaire, s’ils ne peuvent pas lui faire confiance. De manière plus abstraite, ils n’auraient aucun intérêt à croire en l’ordre juridique tout court.

Pourquoi donc, s’adresser à l’ordre juridique si le juge qui se trouve en office ne peut pas répondre adéquatement et honnêtement à l’exigence d’un procès juste et équitable ? Pourquoi respecter un jugement judiciaire (ou encore un ordre d’exécution, etc.) si celui-ci a été obtenu par un procès injuste et inéquitable ? Pourquoi se soumettre et respecter un ordre judiciaire qui triche et qui se moque des justiciables ?

De toute évidence, l’exigence d’un « procès juste et équitable » s’évalue à partir des justiciables, « les véritables juges » du service que l’ordre juridique leur offre. D’où, aussi, le constat que c’est avant tout dans le sentiment d’être traité de manière « injuste » et « inéquitable », que se trouvent la clef de la compréhension et le sens de cette évaluation. On retrouve également le fait que l’injustice et l’iniquité se trouvent dans les détails, dans la pratique, et que chaque dossier qui n’a pas été jugé adéquatement est un affront.

Et d’où, finalement, l’importance de prévisibilité telle que comprise et appréciée par les citoyens. Il s’agit d'une prévisibilité citoyenne qui, en n'appartenant pas aux acteurs du système juridique, se doit d’être scrupuleusement respectée. La prévisibilité citoyenne doit être respectée autant de manières judiciaires que législative : une prévisibilité législative (avec des lois clairement formulées et sans langue de bois) est indispensable pour réaliser une prévisibilité judiciaire où il n’y a pas de surprises et surtout, où s’affirme le respect des justiciables. Une prévisibilité citoyenne assure les justifiables que l’égalité est pour tous et qu’elle ne tend à privilégier personne. C’est là simplement le signe que le système juridique dans sa lutte avec lui-même, ne cède pas à son contraire, ne cède pas au chant des sirènes[39] et à la demande de regarder « ailleurs ».

 

Audi alteram partem.

La troisième exigence, relevant de la sécurité juridique, se retrouve dans le privilège, la liberté de se défendre, d’être écouté et de pouvoir se défendre adéquatement (et par un avocat)[40]. L’adage « audi alteram partem » est une pierre angulaire pour assurer la sécurité juridique des cosociétaires. Nous pouvons, dès lors, affirmer, sans grand risque d’être contredit, que chaque fois que l’audi alteram partem n’est pas respecté à la lettre, la sécurité juridique est alors nulle et absente.

La signification que représente cette exigence de l’audi alteram partem est complexe et variée, tant selon les domaines de pratique juridique, que selon les enjeux juridiques.

Bien entendu, la sagesse consistant à écouter ce qu’a à dire l’autre partie, celui sur lequel on parle ou encore sur lequel on accuse, ne se restreint en aucun cas au droit. Il trouve plutôt sa pertinence sous différents niveaux : politique et social, économique et culturel, et la morale et la religion.

C’est simplement le signe d’une personne ouverte et sage, une personne prête à écouter ses amis et ses adversaires, prête à s’instruire sur ce qu’a à dire autrui, prête à accepter que les individus n’ont pas à être accorde avec lui et n’ont pas à être obligé à se plier devant sa parole. Au fond l’audi alteram partem, c’est le symbole d’une égalité de parole fréquemment déniée. Le nombre de pays où cette exigence n’a pas pu s’enraciner adéquatement représente la majorité des pays de notre planète.

Dans le domaine juridique, l’exigence de donner à toute personne impliquée dans un procès ou un différend, en tant que partie (ne soit-il qu’au stade secondaire), représente la possibilité, réelle et non détournée, de se faire attendre, de librement donner sa version, de rectifier les « faits » et les « appréciations », de donner des explications (de même que de devoir les refuser et d’éviter les auto-incriminations[41]), et surtout, de protester, de demander des « preuves » et de se défendre avec vigueur. Cela est d’une grande importance, puisque l’audi alteram partem représente autant le privilège de se faire entendre, que de se protéger et de se défendre.

De fait, les avocats sont en première ligne en ce qui concerne la sécurité juridique. Lorsqu’il s’avère qu’elle est au contraire insécuritaire, celle-ci porte directement atteinte à la sécurité juridique de leurs clients. Et dans le domaine du droit criminel (et dans des cas où un emprisonnement substantiel est en jeu), il convient simplement de s’assurer que les accusés ont des avocats à leurs services et qu’ils sont dévoués à leurs défenses[42].

Il faut, en conséquence, protéger le travail des avocats en s'assurant que la profession joue son rôle avec une assurance réelle et judiciaire, et que la liberté des avocats peut se confirmer à tout moment. Quand les avocats ne peuvent travailler en toute sécurité et en toute confiance, il n’existe pas de sécurité juridique pour leurs clients. 

Que cela soit en public ou dans un tribunal, l’interaction entre les avocats et l’écoute des juges (arbitres) sert à assurer qu’un système juridique optimalise les chances de réaliser, autant que possible, la sécurité juridique en faveur de tous. La devise de « audi alteram partem » - entendre l'autre (ou les autres) partie(s) - sert aussi bien la sécurité juridique et judiciaire, que la sérénité du système juridique en tant que telle.

Il faut que le droit puisse s’effectuer en public et par des dires qui peuvent être évalués et compris par tous, et encore plus par le juge.

Le juge (arbitre) et l’avocat, en tant qu’acteurs clefs du système juridique, partagent en parts égales la coresponsabilité pour assurer, autant que possible, une sécurité juridique au bénéfice des citoyens. Chacun doit donc comprendre ce que l'autre fait. C’est une manière pour eux de s’assurer, ensemble, que le système juridique mérite l’estime des justiciables.

Il revient donc au système juridique, de s’assurer que la maison de « droit » est bien entretenue et que l’insécurité juridique ne s’infiltre et ne le pourrisse d’aucune façon. Aussi, pour lutter contre l’ombre menaçante de l’insécurité juridique, il faut mettre en lumière les critiques, les évaluations réelles et les témoignages des individus victimes d’un ordre juridique dysfonctionnel.  Ces critiques se doivent d’être aussi libres que sévères. Elles doivent, autant à l’intérieur qu'à l'extérieur du système, servir à identifier les zones d’insécurité, avant que celles-ci ne prennent trop d’ampleur et qu’elles touchent les citoyens et surtout, les plus vulnérables d’entre eux[43]

 

            Confiance et sécurité juridique.

D’autres mécanismes de sécurité juridique s’ajoutent ! En fait, une panoplie de sécurités diverses et variées pourrait servir au « règne du droit » dans une société politique, de ce fait dans une société juridique, le tout en tant qu’objectif d’un « règne du droit » moderne[44]. Puisqu’il est clairement impossible de tous les scruter, les examiner et les analyser (à l’intérieur de notre objectif), il faut donc humblement renoncer.

On peut, cependant, souligner que les sécurités en droit – mentionnés ou non mentionnés – convergent vers l’importance que nous accordons à la confiance intersubjective, pour une société disposant d’un bon fonctionnement[45].  Si la confiance est un élément primordial dans la progression d’une société tout entière, il en va de même pour que la liberté de l’individu s’engage en faveur du progrès, de la civilisation (et de la culture), de l’industrie ainsi que du commerce et, bien sûr, d’une interculturalité[46].

La confiance représente donc la pierre angulaire de la sécurité juridique et elle peut être illustrée en tant que dialectique entre, d’abord une disposition chez l'individu (« faire confiance ») et ensuite, une ressource individuelle (« avoir confiance ») guidant, motivant et « activant » les démarches sociales.

La confiance, en tant que disposition psychologique, se comprend ainsi qu’elle se manifeste en tant que disposition psychique chez un individu et que cela le pousserait à accorder (ou à refuser) sa confiance. Il s’agit d’une « espérance ferme, assurance, sécurité de celui qui se fie à quelqu’un ou à quelque chose »[47], et cela fait référence à une disposition psychologique attachée à un acteur individuel – ce qui réconforte la légitimité d’une analyse au niveau de l’acteur social – ce qui le dispose à accorder (ou refuser) sa confiance à quelqu’un ou dans un contexte précis et temporel[48]. C’est une disposition, une attitude, un esprit, qui s’extériorise chez un individu et qui le pousse à confier sa confiance, à avoir confiance, à faire confiance.

Ce « faire confiance » n’est-il, en fin de compte, rien d’autre qu’une attente, une expectative, une « espérance », de ne pas être déçu, trompé ou abusé[49] ?

Quant à la confiance en tant  que « ressource », cette signification se concrétise au niveau des actions sociales, puisqu’elle met en avant l’individu sur le plan social, économique, culturel, politique, etc.[50].

Si nous avons vu comment « faire confiance » peut nous inciter à être confiants, nous pouvons envisager la confiance comme le « sentiment qui fait qu’on se fie à soi-même »[51] pour concrétiser des actes sociaux. 

Ainsi la confiance n’est rien d’autre qu’un acteur socialisé et qui s’extériorise, en agissant dans le monde avec « confiance ». Compris de la sorte, la confiance s’appréhende sous le mode d’une ressource à la disposition de l’individu, d’un avoir assurance, d’un engagement, d’un « oser faire », etc., qui accompagne l’action sociale ou encore l’action communicationnelle. Mais prise au niveau de la personnalité, de l’être de l’homme (pour parler comme les Anciens), la confiance se révèle constitutive de l’individu et de son caractère à l’égard d’une échelle de jugement relative à la possibilité (c.-à-d. le premier sens de la confiance), l’opportunité et la modalité de confiance dans les enjeux sociaux. Elle nous démontre, ici, qu’elle est autant une force d’action, qu’un « résultat », objet à l’accumulation (c.-à-d. la confiance méritée engendre encore davantage de confiance.)

Il faut donc bien comprendre que si l’économie, ainsi que tous les progrès et développements économiques, repose aujourd’hui sur la « dialectique » entre une confiance psychologique de « faire confiance » et d’une confiance sociologique (et économique) « d’avoir confiance », toute cette dialectique joint la sécurité juridique. Ce sont ces deux notions qu’il convient de toujours assurer, protéger et garantir.

De la même façon que nous pouvons louer une « économie de confiance » qui fonctionne à l’avantage de tous, nous pouvons aussi louer une « sécurité juridique de confiance ».

En fait, lorsque l’on loue la confiance qui se rapporte au « règne du droit », dans toute sa complexité, c’est cette « confiance » qui permet de vivre librement, de s’engager dans la société et dans tous ces coins et recoins, et de « croquer la vie à pleine dent », autant privée et publique. 

 

  1. Conclure sur ce que nous savons et sur ce que nous devons faire.

 

L’exigence de sécurité juridique se révèle, en fin de parcours, très complexe et repose entièrement sur la santé de l’ordre juridique dans un pays. En tant qu’exigence d’un droit moderne, l’exigence se prête à se conjuguer avec une mentalité moderne et avec un respect profond de ce qui doit « compter comme droit » - le droit politique des modernes - à partir des cosociétaires.

D’où - nous l’avons mentionné - la nécessité d’une législation claire et non ambiguë, d'un procès juste et équitable, d'une représentation juste et non biaisée, accomplie par des avocats, un système judiciaire ou arbitral indépendant et non contrôlable par l’extérieur (que ce soit par l’État, la Politique, la Religion, l’Oligarchie ou encore d’autres forces de pouvoir), et d’autres exigences du même ordre (tant au niveau des techniques juridiques qu’au niveau des procédures judiciaires).

Il faut comprendre qu’un système juridique ne se construit guère en un jour ! Il s’agit là d’un engagement délibéré qui se fait d’une génération à l’autre, où s’accumulent les couches de « bons droits » et de « droits mauvais », où il faut s’améliorer chaque instant et avoir recours à des mécanismes critiques pour identifier les failles et les mensonges, et où il faut apprendre à travers ses défauts autant que par ses réussites. C’est un engagement qui ne se contemple dans aucune finitude, sinon se découvre, se dérobe, se réalise, dans le labeur de ses artisans ; un système juridique. C’est un engagement où les exigences de sécurité juridique se jugent dans le détail. Si l’on prend l’image d’un bateau, il ne faut pas qu’une fois mise à l’eau, celle-ci le submerge. Il en va de même pour un système juridique où il ne faut pas le rendre inapte à servir adéquatement les justiciables.

Les exigences de sécurité juridique trouvent clairement leurs compréhensions, autant que leurs dénouements et leurs efficacités réelles, à l’intérieur d’une société où les individus s’engagent à vivre sous le « règne d’un droit », de préférence moderne et démocratique, et sous le symbole d'une égalité judiciaire et de « droit » entre les individus ; une symbolique qui peut être loin, très loin, hélas, de la réalité sociale, politique et économique proprement dite.

Encore une fois, la sécurité juridique risque d’être irrémédiablement nulle sans une force policière qui fonctionne honnêtement, adéquatement et professionnellement.

D’où le constat que la sécurité juridique se valorise, hélas, toujours mieux à l’égard de son contraire : par le rejet de l’insécurité juridique lorsqu’elle est ressentie réellement « dans la chair » des justiciables et par le fait que les individus n’accordent leur confiance ni à un système juridique (et judiciaire), ni à ses artisans juridiques, qui ne les respects pas.

Puisque la confiance se mérite, elle doit être méritée aux yeux des citoyens qui ont leurs raisons de ne jamais accorder aveuglément leur « confiance », et qui savent que rien ne s’obtient uniquement par des discours effectués en public. Faire un « chèque en blanc » au système juridique en place ne témoigne pas d'un acte de confiance, mais uniquement d'un respect (ou d'une crainte) pour l’autorité. Et nous savons tous que « l’autorité » n’est pas toujours un bon argument.

Ajoutons qu’il est impératif de produire de véritables analyses empiriques, sociologiques, culturelles et « juridiques », permettant d’évaluer empiriquement et objectivement dans quels degrés les exigences de « sécurité juridique » ont un sens pour les justiciables d’un pays ! Il convient d’élaborer des analyses scientifiques et impartiales pour savoir si, et à quel niveau, les justiciables d’un pays accordent (ou n’accordent pas) sincèrement leur confiance aux services que le système juridique est censé leur fournir.

Si l’exigence de sécurité juridique ne se résume en aucune façon à la « beauté des mots », il nous faut de telles analyses pour prendre « la température », et surtout, tel un navigateur averti, pour comprendre où nous en sommes « véritablement » et où nous pouvons et voulons nous rendre pour assurer une sécurité juridique à et pour tous.

 

 

 

* Professeur, Faculté de Droit de Université de Laval, Québec ; bjarne.melkevik@fd.ulaval.ca.

[1] Rosalind Greenstein, « La « sécurité » : exemple d’un concept complexe et d’un terme polysémique au croisement des langues et des disciplines », dans R. Greenstein (dir.). Langues et cultures : une histoire d’interface, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p 115 – 164. Cf.  Rosalind Greenstein, « Dénotation et connotation dans le domaine du droit », dans M. Teresa Cabré, Carme Bach & Jaume Martí (dir.), Terminología y derecho : complejidad de la comunicación multilingüe, Institut Universitari de Lingüística Aplicada, Universitat Pompeu Fabra i Documenta Universitària, série Activitats n° 18, Barcelone, 2006, p. 17-67.

[2] La « sécurité » dépend au fait que la police répond et agit effectivement et adéquatement quand un appel à l’assistance a été formulé par un individu ou une institution. Il s’agit toujours d’un minimum quant à la sécurité individuelle, autant que de sécurité « juridique ». Dans plusieurs pays, surtout en Afrique et en Asie, la Police ne répond pas, ne bouge pas, quand la demande est formulée à partie de certains quartiers ou de certaines personnes et groupes / minorités.   

[3]  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »

[4] Bjarne Melkevik, « Droits de l’Homme », dans Pascal Mbongo, François Hervouët et Carlo Santulli (dir.), Dictionnaire encyclopédique de l’État, Paris, Berger-Levrault, 2014, p 309 – 314.

[5] Un litmus test est un test / une évaluation de véracité ou de sincérité par recours « à la réalité ». Autrement, un litmus test c’est l’évaluation par « les faits ». Le mot et le test trouvent son origine historique dans le domaine de la chimie. En chimie le litmus (c.-à-d. papier tournesol) permettait rapidement de discerner l’acidité / l’alcalinité d’un liquide.

[6] Conseil d’État (France), Rapport public 2006. Jurisprudence et avis de 2005. Sécurité juridique et complexité du droit, Paris, La Documentation française, coll. Études & Documents no 57, 2006 ; page 226 nomme les rédacteurs du texte, qui a été adopté – reçu officiellement – le 2 février 2006. Cf. aussi le rapport apériteur du Conseil d’État (France), Rapport public annuel 1991. De la sécurité juridique, Paris, La Documentation française, coll. Études et documents, no 43, 1991.

[7] Il va sans le dire que le Rapport public 2006 du Conseil d’État n’a que le statut, parlant fons iuris, que d’une opinion « dogmatique » ou « doctrinale ».

[8] Cf. André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2010, page 827 – 829, notice « principe ».

[9] Conseil d’État (France), idem, page 229. En ce qui concerne ici l’évocation du terme « clandestin », c’est une référence à l’article de Bertrand Mathieu, « La sécurité juridique, un principe constitutionnel clandestin, mais efficient », dans Patrick Fraisseix (dir.), Mélanges Patrice Gélard, Paris, Montchretien, 2000, p 301. Compare avec l’article « ancien » de Moncef Khadir, « Vers la fin de la sécurité juridique en droit français ? », La Revue administrative (Paris), 1993, volume 46, p 538 s.

[10] Conseil d’État (France), idem, page 281. Définition reprise textuellement, en paraphrase, par Thomas Piazzon, La sécurité juridique, Paris, Defrénois, 2009, no 48, p 63 ; la sécurité juridique est « l’idéal de fiabilité d’un droit accessible et compréhensible qui permet aux sujets de droit de prévoir raisonnablement les conséquences juridiques de leurs actes ou comportements, et qui respect les prévisions légitimes déjà bâties par les sujets de droit dont il favorise la réalisation. »

[11]  Conseil d’État (France), idem, page 281.

[12]  Conseil d’État (France), Rapport public 2006. Jurisprudence et avis de 2005. Sécurité juridique et complexité du droit, idem, page 282.

[13] Conseil d’État (France), idem, page 282. Cf. Le Senat (Français), Les documents de travail du Sénat. La qualité de la loi, Paris, éditeur Le Senat, coll. Série Études Juridiques no 3, 2007.

[14] Voir, Pierre Albertini (dir.), La qualité de la loi. Expériences française et européenne, Paris, Mare & Martin, Collection : Droit Public, 2016 ; Luzius Mader et Marta Taveres de Almeida (dir.), Quality of Legislation, Principles and Instruments, Baden-Baden, Nomos, 20111 ; Luc Wintgens, Legisprudence. Pratical Reason in Legislation, Farnham (UK), Ashgate, 2012.

[15] Quant à l’intelligence de la loi, le Conseil constitutionnel (français) reconnaît, dans une décision no 99-421 DC du 16 décembre 1999, une valeur constitutionnelle à l'objectif « d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ». Dans sa décision no 2005-530 DC du 29 décembre 2005, le Conseil constitutionnel (français), à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2006, réaffirme ce principe et censure une disposition relative au plafonnement global des avantages fiscaux, en raison de son excessive complexité et qu'aucun motif d'intérêt général ne suffit à justifier.

[16] Néologisme. Utiliser dans le domaine philosophique.

[17] Nicolas Cuzacq, « La qualité de la loi : un oxymore en droit contemporain ? », Revue de la Recherche juridique - Droit prospectif, 2012-1, p. 15-34.

[18] Conseil d’État (France), idem, page 282.

[19] Bjarne Melkevik, « Droit et démocratie : retour sur l’approche procédurale de Habermas », dans Alexandre Viala (dir.), Démocratie, mais qu’en disent les juristes. Forces et faiblesses de la rationalité juridique, Paris, L.G.D.J., collection Grands colloques, 2014, p 185 – 208.

[20] Hans Petter Graver, Judges Against Justice. On Judges When the Rule of Law is Under Attack, Berlin & Heidelberg, Springer, 2015.

[21] Conseil d’État (France), Rapport public 2006. Jurisprudence et avis de 2005. Sécurité juridique et complexité du droit, ibid., page 282, cf. 289 – 291.

[22] Conseil d’État (France), Rapport public 2006. Jurisprudence et avis de 2005. Sécurité juridique et complexité du droit, ibid., page 282. La citation renvoie ici à Michel Pinault, « Incertitude et sécurité juridique », Rapport du Groupe de travail no 1 du séminaire de la Cour de cassation, de l’Institut des hautes études sur la justice, du Centre des hautes études sur l’assurance et de l’École nationale supérieure de sécurité sociale, 22 mars 2005. Notons que le Conseil d’État (France) dans une note située en amont renvoie à Daniel Labetoulle, « Principe de légalité et principe de sécurité », dans Mélanges Guy Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p 403 – 412.

[23] Cf. Philippe Sassier et Dominique Lansoy, Ubu Loi, Paris, Fayard, 2008. (Il est certainement superflu de mentionner que le titre fait ici référence à la pièce de théâtre d’Alfred Jarry intitulé « Ubu roi » (1896) mettant en scène un despote symbolisant le délire du pouvoir sans restreints et de l'absurdité des manœuvres politiques ne servant aucun objectif clair et commun.)

[24] Rappelons Montesquieu (c.-à-d. Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, dit Montesquieu), De l’esprit des lois (1758), Paris, Flammarion, coll. Le monde de la philosophie, 2008, p 771 (Livre 29, chapitre XVI), « (…) les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires (…) ».

[25] Rappelons Tacite (c.-à-d. Publius Cornelius Tacitus ; 58 – 120 ap. C), Annales, 3, 27, et l’adage « Corruptissima re publica plurimae leges » - « Plus l’État se décompose, plus les lois pullulent » ; voir idem, « Le peuple, en vue d'assurer sa liberté et d'affermir la concorde, se donna, contre les entreprises des patriciens, de nombreuses garanties. Des décemvirs furent créés, qui, empruntant aux législations étrangères ce qu'elles avaient de meilleur, en formèrent les Douze Tables, dernières lois dont l'équité soit le fondement : car si celles qui suivirent eurent quelquefois pour but de réprimer les crimes, plus souvent aussi, nées de la division entre les ordres, d'une ambition illicite, de l'envie de bannir d'illustres citoyens, ou de quelque motif également condamnable, elles furent l'ouvrage de la violence […] Ni la guerre italique, ni la guerre civile, qui la suivit de près, n'empêchèrent d'éclore une foule de lois, souvent contradictoires ; jusqu'à ce que L. Sylla, dictateur, après en avoir aboli, changé, ajouté un grand nombre, fît trêve aux nouveautés, mais non pour longtemps ; car les séditieuses propositions de Lépidus éclatèrent aussitôt, et la licence ne tarda pas à être rendue aux tribuns d'agiter le peuple au gré de leur caprice. Alors on ne se borna plus à ordonner pour tous ; on statua même contre un seul, et jamais les lois ne furent plus multipliées que lorsque l'État fut le plus corrompu. »

[26] Voir, Bjarne Melkevik, Habermas, Légalité et Légitimité, Québec, Presses de l’Université Laval, Coll. Diké, 2012.

[27] Conseil d’État (France), Rapport public 2006. Jurisprudence et avis de 2005. Sécurité juridique et complexité du droit, ibid., page 282.

[28] Conseil d’État (français), op. cit., page 283.

[29] Conseil d’État (français), op. cit., page 283.

[30] Abréviation de « habeas corpus ad subjiciendum et recipiendum » ; littéralement : « Aie le corps [la personne du prisonnier], [avec toi, en te présentant devant la Cour] afin que son [ton] cas soit examiné ») ; ou, simplifier, « sois maître de ton corps ».

[31] Alfred Denning, Lord (i.e. Alfred Thompson "Tom" Denning, Baron Denning), The Due Process of Law, Oxford, Oxford University Press, 1980, 2007; Tom Bingham, Lord (i.e. Thomas Henry Bingham, Baron Bingham of Cornhill), The Rule of Law, London, Penguin, coll. Penguin Law, 2010, 2011.

[32] An Act for the better securing the Liberty of the Subject, and for Prevention of Imprisonment beyond the Seas, 31 Cha. 2. 2

[33] Franck Lessay, Habeas Corpus, dans Denis Alland et Stéphan Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses universitaires de France, coll. Quadrige Dicos Poche, 2003, p 777 – 779, voir spécifiquement page 779 en ce qui concerne la loi sur habeas corpus de 1779.

[34] C’est-à-dire : une ordonnance, un ordre judiciaire, un acte judiciaire, un mandat, un mandat sommant une personne d’agir d’une façon précisée, un mandat d’amener, un mandat de libéré, un mandat de comparution, ou équivalent.

[35] Habeas Corpus Act 1816; c.100 56 Geo 3

[36] Rappelons la « Loi des Douze Tables » (en latin : Lex Duodecim Tabularum ou Duodecim Tabulae) (451 – 449 av. J.-C.), Table 1, 1 : « Si l'on cite quelqu'un en justice, qu'il y aille. S'il n'y va pas, que l'on appelle des témoins. Seulement ensuite, qu'on le capture. »  La même forme de civilité communautaire se trouve dans le droit viking où il était stipulé que tout homme (libre) interpeller de se présenter sur le Tingi (Thing) – à la fois instance de « dire la loi » que d’instance judiciaire – avais à le faire ; voir Auguste Geffroy. L'Islande avant le christianisme, d’après le Gragas et les Sagas, Paris, Leroux, 1897 (disponible sur la Toile : https://archive.org/details/lislandeavantle00geffgoog)

[37] Ainsi la Charte canadienne des droits et de libertés (1982), article 11 (f), circonscrit le Juge-jury au cas où l’accusé est incrimé d’une infraction pouvant résulte d’un emprisonnement de cinq ans ou plus : « Tout inculpé a le droit : f) sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave. » Cela a comme conséquence que Magistrat-juge aurons la mainmise en exclusivité sur 99.99 % des cas judiciaires.

[38] Ronald Dworkin, L’empire du droit, Paris, Les Presses universitaires de France, coll. Recherche politique, 1994. Sur Dworkin, voir Christina Chalanouli, Kant et Dworkin : De l’autonomie individuelle à l’autonomie privée et publique, Paris, L’Harmattan, coll. Commentaires philosophiques, 2010.               

[39] Évoquons le poème épique d’Homer, Odyssée, livre XII, v. 29 – 58 et v. 142 – 200.

[40] Sur l’histoire de l’adage « audi alteram partem » et son origine dans les cultures grecques, romaines, juives et chrétiennes, voir John M. Kelly, « Audi Alteram Partem : Note », dans Natural Law Forum (Notre Dame Law School), vol 1, no 1, 1964, p 103 – 110.

[41] Voir Bjarne Melkevik, l’article « Incrimination », dans Gérard Lopez et Stamatios Tzitzis (dir.), Dictionnaire des sciences criminelles, Paris, Dalloz, 2004, p 520 – 523.                     

[42] Rappelant l’adage romain : Ait praetor : si non habebunt advocatum, ego dabo; traduction : « Le préteur dit : à ceux qui n’auront pas d’avocat, j’en donnerai un. » (Dig. 3.1.1.4; Ulpianus 6 ad ed.)

[43] Cf. Bjarne Melkevik, « Vulnérabilité de la personne et effectivité des droits de l’homme : une question de potentialité ? », dans Élisabeth Paillet et Pascal Richard (dir.), Effectivité des droits et vulnérabilité de la personne, Bruxelles, Bruylant, 2014, p 167 – 194 ; et Bjarne Melkevik, « Vulnérabilité, droit et autonomie : un essai sur le sujet de droit », dans Arnaud de Raulin (dir.), Situations d’urgence et droits fondamentaux, Paris, L’Harmattan, coll. Économie Plurielle, 2006, p 49-76.

[44] Tels que la règle de « double jeopardy » (litt. « double mise en danger » ; en droit procédurale « Non bis in idem » - « non à de poursuit deux fois pour le même délit ») et l’interdiction de l’incrimination et jugement judiciaire deux fois sur les mêmes faits essentiels (compris comme « circonscrit » et n’est pas strictement absolu).

[45] Francis Fukuyama, La confiance et la puissance, Paris, Plon, 1997, page 26 « La confiance est l’attente, qui se manifeste au sein d’une communauté, d’un comportement coopératif, honnête, rangé et fondé sur des normes communément partagées, de la part des autres membres de ladite communauté. »

[46] Niklas Luhmann, La confiance. Un mécanisme de réduction de la complexité sociale, Paris, Economica, collection Études sociologiques, 2006 : page 1 : « La confiance au sens le plus large du terme, c’est-à-dire le fait de se fier à ses propres attentes, constitue une donnée élémentaire de la vie en société. Certes, l’homme a en de nombreuses situations, le choix d’accorder ou non sa confiance à divers égards. Mais, s’il ne faisait pas confiance de manière courante, il n’arriverait même pas à quitter son lit le matin. Une angoisse indéterminée, une répulsion paralysante l’assailliraient. Il ne serait même pas en mesure de formuler une méfiance définie et d’en faire le principe ; à la base de mesures défensives, car cela serait présupposer qu’il accorde sa confiance à d’autres égards. Tout serait alors possible. Nul ne peut supporter une telle confrontation immédiate avec la plus extrême complexité du monde. »

[47] Paul Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Société du nouveau Littré, Le Robert, 1966, voire le mot « confiance ».

[48] Niklas Luhmann, La confiance. Un mécanisme de réduction de la complexité sociale, op. cit., page 9 : « Un coup d’œil rapide sur le thème de la confiance suffit pour y dévoiler une relation problématique au temps. Celui qui fait confiance anticipe l’avenir. Il agit comme s’il était certain de l’avenir. On pourrait penser qu’il transcende le temps, du moins les différences temporelles. Peut-être est-ce là la raison pour laquelle l’éthique, en vertu d’un préjugé implicite à l'égard du temps, a perçu la confiance comme une attitude par laquelle on cherche à se rendre indépendant du flux temporel et, ainsi, à se rapporter de l’éternité. Mais la représentation du temps qui pouvait être au fondement d’un tel jugement a toujours été insuffisante, tout comme ce jugement lui-même. Le temps ne peut être pensé comme un flux, comme un mouvement, ni comme la mesure du mouvement. Dans le concept de mouvement, le concept de temps est en effet déjà implicitement présupposé. » Cf. Saint-Augustin (c.-à-d. Augustin d'Hippone, ou en latin : Aurelius Augustinus), concernant cette conception du « temps et du mouvement », dans Saint Augustin, Les Confessions, Paris, Flammarion, coll. Le monde de la philosophie, 2008, p 306 – 328 (Livre 11, ch. XI – XXVIII). En lisant Niklas Luhmann, nous avons ici (et ailleurs également) le sentiment qu’il s’inspire (même reprend) directement de Saint-Augustin.

[49] Si le proverbe atteste avec justesse qu’habituellement « la confiance rend aveugle », cela témoigne autant la façon dont la confiance s’explique dans une téléologie, à savoir en tant que force mobilisatrice pouvant motiver un individu à accorder une confiance à l’intérieur d’une croyance, d’une espérance, d’une foi en autrui, pour que quelque chose puisse se réaliser avec quelqu’un ou que quelque chose peut se construire avec lui. D'où l’abîme qui s’ouvre pour l’individu lorsque sa confiance n’est pas honorée avec honnêteté ou pire détourné (par quelqu’un ou simplement par une « situation » mal évaluée) à mauvais escient. Un exemple que tout le monde comprendra immédiatement, c’est le séducteur ou le fraudeur qui semé des mots de miel pour obtenir gain de cause, pour manipuler et pour tromper.

[50] Voir, Niklas Luhmann, La confiance. Un mécanisme de réduction de la complexité sociale, op. cit.

[51] Paul Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, idem ; le mot « confiance".   


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